Un face-à-face de plus en plus musclé entre les manifestants et la police burundaise Au 38ème jour de leur mouvement, les manifestants opposés à un troisième mandat du président Pierre Nkurunziza ont de nouveau défié la police hier à Bujumbura, en attendant un éventuel report des élections. Des centaines de protestataires ont tenté de reprendre le pavé dans les habituels quartiers de la capitale, où les policiers déployés tirent à vue pour étouffer dans l'oeuf tout rassemblement. A Cibitoke (nord), des dizaines de jeunes faisaient face à la police qui tirait en l'air et lançait des grenades lacrymogène. Même scénario à Musaga (sud). A Nyakabiga, des regroupements ont eu lieu tôt dans la matinée. Dans l'impossibilité de se rassembler sur une grande avenue tenue par les policiers, les manifestants s'asseyaient à même le sol dans les rues pavées, mains levées. Comme de coutume, les consignes étaient hier matin de «tenter de rejoindre le centre-ville», en évitant «toute confrontation avec la police». «Il y a cinq mois, personne n'aurait pu imaginer un mouvement d'une telle ampleur au Burundi», a déclaré l'un des leaders du mouvement anti-troisième mandat, Pacifique Nininahazwe. Les opposants au chef de l'Etat sortant, qui brigue un troisième mandat à la présidentielle du 26 juin, jugent cette candidature anticonstitutionnelle et contraire aux accords de paix d'Arusha, qui avaient mis fin à la guerre civile (1993-2006). Les partisans du pouvoir estiment cette démarche parfaitement légale, M.Nkurunziza n'ayant pas été élu pour accéder au pouvoir en 2005, mais désigné par le parlement. «L'objectif majeur d'une résistance non-violente est toujours de fatiguer le pouvoir en place, l'amener à comprendre que la situation est intenable s'il n'écoute pas», selon M.Nininahazwe. «Nous n'avons plus le droit de nous arrêter (...). Si nous tenons bon, le pouvoir de Nkurunziza sera en lambeaux dans un mois et demi», a-t-il lancé, appelant à mener «progressivement d'autres actions de désobéissance civile». Depuis l'annonce de la candidature de M.Nkurunziza fin avril, les manifestations sont quasi-quotidiennes dans les rues de Bujumbura, et les affrontements nombreux avec la police qui fait un large usage de ses armes à feu. Plus d'une trentaine de personnes ont été tuées, et, dans ce contexte de très vives tensions politiques, la sécurité s'est fortement dégradée. «Spirale de la violence», «pays au bord du gouffre», «atmosphère de peur et d'intimidation généralisée», «radicalisation» du camp présidentiel: tous les observateurs mettent en garde contre une catastrophe annoncée. Dans le bras de fer engagé par les manifestants avec le pouvoir, qui vise clairement à mettre à genoux l'administration Nkurunziza, le pays tourne désormais au ralenti. L'économie, déjà chancelante, montre de très sérieux signe d'essoufflement, dans un pays considéré comme l'un des plus pauvres de la planète. Des élections législatives et communales, déjà repoussées de 10 jours sous la pression de la communauté internationale, sont théoriquement prévues vendredi prochain, suivies du scrutin présidentiel le 26 juin, puis des sénatoriales le 17 juillet. A l'exception du seul camp présidentiel, tous les acteurs de la crise et partenaires internationaux du Burundi ont jugé leur tenue aux dates prévues impossible et exigé leur report. Réunis en sommet dimanche en Tanzanie, les pays d'Afrique de l'Est ont demandé que ce report aille au moins jusqu'à la mi-juillet. Selon le président de la Commission électorale nationale (Céni), des discussions sont en cours sur ce report avec le gouvernement, qui pour l'instant n'a encore rien annoncé officiellement. La défection la semaine dernière de deux de ses cinq commissaires nationaux, le retrait de l'Eglise catholique et de l'Union européenne, et le boycott de facto de l'opposition qui n'a même pas pu faire campagne face à un parti présidentiel tout-puissant, hypothèquent l'organisation matérielle de ces scrutins. Ceci alors que la quasi-totalité des médias privés et indépendants ont dû cesser d'émettre depuis le début de la crise. Très en pointe sur la scène internationale contre le troisième mandat, les Etats-Unis ont de nouveau mis en garde mardi contre une candidature de M.Nkurunziza, qui menace «gravement la stabilité» du pays et est clairement «en violation» de l'accord de paix d'Arusha.