La maladie typiquement africaine de la présidence à vie, en vogue chez de nombreux dirigeants, gagne le Burundi. Ce petit pays d'Afrique de l'Est d'à peine 27 000 km2 situé dans la région des Grand Lacs dépend des aides internationales pour nourrir ses quelque 10 millions d'habitants. Cela n'empêche pas son président, Pierre Nkurunziza, 51 ans, pris d'une boulimie de pouvoir, de postuler pour un 3e mandat à la tête de ce pays. Quitte à marcher sur des cadavres de ses compatriotes, comme l'ont fait beaucoup de ses semblables sur le continent. Depuis samedi, jour de son investiture par son parti, le CNDD-FDD, comme candidat à la présidentielle, la rue flambe au Burundi. Et il y a eu déjà mort d'homme puisqu'au moins deux manifestants ont été tués, hier, par balles à Bujumbura suite à de violents accrochages entre la police et des milliers d'opposants à la candidature pour un 3e mandat du président sortant. La police a tiré sans état d'âme sur la foule dans les quartiers de Ngagara et de Musaga. Dans plusieurs quartiers de la capitale burundaise, où les forces de sécurité avaient été déployées en masse, des milliers de manifestants se sont rassemblés, bravant une interdiction du gouvernement qui a récemment multiplié les mises en garde contre toute tentative de «soulèvement». L'opposition et de nombreux pans de la société civile jugent qu'un troisième mandat du président Nkurunziza serait inconstitutionnel et contraire aux accords d'Arusha, qui ont ouvert la voie à la fin de la longue guerre civile burundaise (1993-2006). Mais c'est sans compter sur l'ivresse du pouvoir qui a fait tourner la tête de M. Nkurunziza. Maladie du pouvoir Les partis de l'opposition, comme partout où la présidence à vie est de mode, ont averti que la présidentielle du 26 juin prochain «risque de plonger le Burundi dans le chaos». Cette funeste perspective n'inquiète pas outre mesure l'apprenti dictateur Pierre Nkurunziza, 51 ans mais déjà dix ans de pouvoir au «compteur». Pour réussir son passage en force, il a eu recours à la recette en vogue qui consiste à faire le ménage au sein de son parti en écartant les voix discordantes. On estime ainsi que quelque 130 hauts cadres «frondeurs», ouvertement opposés à ce troisième mandat, ont été évincés ces dernières semaines. Certains ont été emprisonnés, d'autres ont choisi la clandestinité, disant «craindre pour leur vie». Les médias locaux ont rapporté que plusieurs manifestants avaient été blessés ainsi que des policiers anti-émeutes, touchés par des jets de pierre alors qu'ils tentaient d'empêcher des milliers de protestataires, venus notamment du quartier nord de Cibitoke, de converger vers le centre-ville. La police a par ailleurs procédé à une dizaine d'arrestations tandis que le ministre de l'Intérieur, Edouard Nduwimana, dénonçait des «soulèvements organisés à l'appel de certains politiciens et de la société civile». Aussi, le gouvernement qui a menacé la très influente Radio publique africaine (RPA) de fermeture, a joint la parole à l'acte. Les émetteurs relais des trois principales radios indépendantes du Burundi, accusées d'inciter la population «au soulèvement», ont été coupés hier par le gouvernement, a annoncé président de l'Association burundaise des radios du Burundi (ABR). Ce mouvement de redressement n'est pas sans rappeler des scénarios similaires observés un peu partout en Afrique, y compris en Algérie. Mais les grandes puissances ne risquent pas de se mettre en travers de la route de Pierre Nkurunziza, dont le pays n'a rien à offrir en termes de ressources ou de marchés. C'est à peine si les Etats-Unis ont regretté «une importante occasion manquée pour la démocratie et ont menacé les autorités burundaises de prendre des sanctions si le processus électoral n'était pas régulier». Il appartient donc au seul peuple burundais de maintenir la pression pour couper la route du 3e mandat. «Nous ne renoncerons pas, nous ne céderons pas!», crient à l'unisson les manifestants, à Bujumbura.