Son avion a décollé à la mi-journée d'un aéroport militaire de Johannesburg, et les autorités de Khartoum ont rapidement confirmé que le chef de l'Etat était en route pour regagner son pays. Le président soudanais Omar El Bechir, recherché pour génocide par la Cour pénale internationale, a quitté hier Johannesburg après avoir assisté à un sommet de l'Union africaine, faisant fi d'une interdiction de sortie du territoire prononcée la veille par la justice sud-africaine. La Cour pénale internationale (CPI), qui recherche le président soudanais pour génocide, crimes de guerre et crimes contre l'humanité, avait demandé à l'Afrique du Sud de procéder à son arrestation. Dimanche, un tribunal de Pretoria lui avait même interdit de quitter le pays tant que la justice sud-africaine n'aurait pas statué sur son cas, une première sur le continent africain en réponse à une demande de la CPI. L'entourage de M. El Bechir n'avait cependant jamais semblé inquiet. «Cette action en justice, c'est l'affaire du gouvernement sud-africain (...) Nous sommes ici comme hôtes du gouvernement sud-africain. Des assurances ont été données par ce gouvernement», avait déclaré dimanche le ministre soudanais des Affaires étrangères Ibrahim Ghandour. De fait, M. El Bechir a tranquillement participé au sommet de l'UA et a posé au premier rang de la photo officielle dimanche. Depuis des années, les relations entre la CPI et les chefs d'Etats africains sont tendues. En dépit des poursuites engagées contre lui par la CPI en 2009 et 2010 pour crimes de guerre, crimes contre l'humanité et génocide dans le conflit de la province soudanaise du Darfour, le président El Bechir s'est déjà rendu depuis dans des Etats parties à la CPI tels que le Tchad, le Kenya et le Nigeria, sans jamais être inquiété. Estimant le continent africain injustement ciblé, l'UA s'est plusieurs fois prononcée contre toute tentative d'arrestation du président soudanais, au nom de son immunité de chef d'Etat en exercice. La CPI a été créée en 2002 à La Haye pour juger en dernier ressort les génocidaires et criminels de guerre qui n'ont jamais été poursuivis dans leur propre pays. Ses résultats sont inégaux - seules deux condamnations ont été prononcées à ce jour -, mais c'est surtout sa polarisation sur l'Afrique - les huit pays pour lesquels elle a ouvert des enquêtes sont tous africains - qui suscite les plus fortes critiques. Dès le 28 mai, la Cour pénale avait notifié à l'Afrique du Sud son obligation statutaire, en tant qu'Etat membre de la Cour, d'arrêter et de lui remettre M. El Bechir si celui-ci se rendait sur son territoire. Le gouvernement sud-africain n'a fait aucun commentaire sur cette affaire, qui fait pourtant les gros titres des médias sud-africains depuis dimanche. «Si l'Afrique du Sud n'obtempère pas», avait commenté dimanche à Johannesburg l'avocat spécialiste des droits de l'Homme Gabriel Shumba, «elle se met dans le même panier que les régimes africains qui n'ont aucun respect pour les droits de l'Homme. En réalité, c'est un test pour l'Afrique du Sud». A l'étranger, les Etats-Unis ont fait part de leur «vive inquiétude». Bien que les Etats-Unis ne soient pas membres de la CPI, a indiqué hier le département d'Etat, «nous soutenons fermement les efforts internationaux pour que les responsables de génocide, de crimes contre l'humanité et de crime de guerre rendent des comptes à la justice». «Nous appelons le gouvernement sud-africain à soutenir ces efforts de la communauté internationale pour faire rendre justice aux victimes de ces crimes haineux», poursuivait Washington, dans un communiqué publié quelques heures avant le départ de M. El Bechir. Le président soudanais, 71 ans, au pouvoir depuis un coup d'Etat en 1989 et réélu en avril sans opposition avec 94% des voix pour un nouveau mandat de cinq ans, a depuis 2009 considérablement limité ses déplacements à l'étranger, privilégiant les pays n'ayant pas rejoint la CPI.