Après avoir pensé pendant longtemps que notre pays n'était qu'une zone de transit, on découvre qu'en fait, c'est en pays de grande consommation qu'on se pose. Les services de sécurité marocains ont intercepté, ces derniers jours, plus de 100 tonnes de haschisch - cannabis - dans le village d'Al Qoleïâ, près de Zaâroura, dans le nord du pays, affaire dans laquelle sont impliquées des dizaines de personnes, selon la police de Tétouane. Cette interception renseigne sur le degré de l'implication des habitants des villages et hameaux marocains dans ce commerce très lucratif - «un véritable pactole» dans un contexte de «disette sociale», notamment depuis la frontière avec l'Algérie - et de la passivité, jusqu'à récemment, des services de sécurité marocains, qui, souvent, laissaient faire pour «résorber les tensions et l'indigence sociales». Evidemment, aujourd'hui, ils essayent d'endiguer, avec plus ou moins de succès, le fléau, mais pour l'Algérie, le mal est fait: 80% de la drogue marocaine passe par des canaux algériens et seulement 10 à 15% de la quantité introduite quitte le pays vers d'autres destinations, la Libye, l'Egypte ou par petites quantités, l'Europe occidentale, notamment l'Espagne et la France. L'immense frontière que partage l'Algérie avec le Maroc, le Sahara occidental, la Mauritanie, le Mali, le Niger et la Libye, est trouée comme du gruyère par les barons de la drogue. Les gardes frontières de la Gendarmerie nationale et les postes avancés de l'armée n'ont pas de moyens infaillibles pour surveiller un Sud grand comme quatre fois la France. Pourtant, la répression contre les éclaireurs, les lampistes, les convoyeurs et les contrebandiers de la drogue bat son plein, mais ces petits succès contre des bandes demeurent dérisoires face à l'énormité du trafic de drogue. L'Algérie, qu'on avait, à tort, pensé être un pays de transit, devient un marché de commercialisation florissant, mais aussi un pays de grande consommation. D'Alger à Tamanrasset, la drogue fait florès parmi les jeunes, les désoeuvrés et, aujourd'hui, les adolescents et les lycéens. Le Maroc n'est pas l'unique source d'approvisionnement en drogue bien qu'il reste le premier fournisseur. La bande du Sahel est devenue un vaste monde traversé par les groupes rebelles, les contrebandiers de tout acabit et les cigarettiers. Ce monde vit largement avec le commerce des armes et de la drogue, et c'est le plus normalement du monde que des paquets de sucre, des bidons d'huile ou des cartons de lait, lourdement chargés dans des semi-remorques, se trouvent en fait être autant de conteneurs de drogue, dirigés à partir d'Aïn Salah, Ouargla, Tamanrasset et Bordj Badji Mokhtar, vers les villes du Nord, notamment Tlemcen, Oran, Alger et Annaba. L'affaire des trois tonnes de cannabis introduites le 3 décembre 2003 à partir de Tlemcen et Naâma renseigne sur les capacités organisationnelles des trafiquants, tout comme elle démontre l'importance et la régularité de l'arrivée de la marchandise en Algérie. Les circuits empruntés avaient été signalés par un document exhaustif réalisé par la Gendarmerie nationale. Ce document explique les chemins de traverse, les points de passage et les zones traversées par les circuits de la drogue: Mekmen, Benamor, Mecheria, Bougtob, El Bayadh, Aflou, Berriane, Guerrara, Hadjira, Touggourt, Ouargla, Hassi Messaoud, Erg occidental jusqu'à la frontière libyenne. Puis un autre grand circuit: Aïn Benkhelil, Oued Belghorch, Touifza, Lankar (Naâma), Boussemghoun, N'kheïla, Oued Labdoun, Zergoun, Laânguer, Labiodh Sidi Cheikh, Dahrat Metlili (Ménéa), Gara Krima (Ouargla). Les mille kilomètres de frontière avec le Maroc représentent à tout moment un passage éventuel de très grandes quantités de drogue vers l'Algérie. De Bab El Assa jusqu'à Tindouf, en passant par Zoudj B'ghel, Tlemcen, Mécheria et Béchar, les contrebandiers des deux côtés des frontières ont établi depuis longtemps des liens solides, des appuis forts et peaufinés des «stratégies de guerre» pour déjouer la vigilance des services de sécurité, des douanes et des gardes frontières, quitte à les «gaver» d'argent, infaillible moyen s'il en est pour venir à bout de la résistance morale de gens souvent mal payés. Le phénomène prend de l'ampleur et commence à inquiéter les responsables de la sécurité intérieure parce qu'il est souvent une source génératrice d'autres maux. Les 468 kg interceptés par les services de la GN en 1994 sont arrivés à 3904 kg en 2003, et des connaisseurs du dossier «drogue» estiment à seulement 10 à 20% les quantités saisies annuellement. Les connexions entre trafiquants de drogue et terroristes sont souvent établies, les premiers finançant les seconds et profitent de leur appui en armes et convoiement. Les interconnexions que les barons de la drogue ont tissées de longue date avec d'autres chefs de filières mafieuses, et même avec des responsables des services de sécurité des frontières, ne permettent cependant pas de tirer des conclusions optimistes sur le sujet.