Le 17 juin 1943, l'abbé était à Alger, alors capitale de la «France résistante». Chemise noire et pantalon tergal de même couleur, choisis avec goût et porté avec la même attention faite à la vie depuis plus d'un demi-siècle, l'abbé Pierre, de passage, hier, à Dellys et Zemmouri, donnait toujours l'air d'un zazou éternel. Soixante et un ans après avoir rencontré le général Charles de Gaulle à Alger, capitale française de la résistance, un 17 juin 1943, l'abbé Pierre retrouve la capitale algérienne, indépendante mais meurtrie par le séisme du 21 mai 2003. Le fidèle sourire accroché aux lèvres, qui embellit son visage de 92 ans comme un don de Dieu, l'abbé reste fidèle à son image de contestataire, de défroqué de l'Eglise traditionnelle, des conventions sociales et protocolaires, laissant tous les responsables civils, militaires et consulaires pour «un moment de détente», l'abbé Pierre dormira de douze à treize heures trente. Usé par l'effort, fatigué par un siècle de vie engagée dans l'action pour les démunis. Vie intense, exceptionnelle et résolument engagée dans l'action, le parcours de l'abbé Pierre est celui d'un «révolutionnaire de la bonté». En 1941, cet abbé capucin, aide les juifs à se trouver des caches pour échapper à la Gestapo, puis entre en clandestinité. Il participe à la résistance et crée des maquis qui deviendront une partie de «l'armée du Vercors». En mai 1943, il est arrêté par l'armée allemande aux Pyrénées. Il s'évade quelques jours plus tard et se retrouve à Alger, le 17 juin. C'est la première rencontre avec le général de Gaulle dans la «capitale algérienne de la résistance française». Entre 1945 et 1961, il est député à l'Assemblée nationale puis président du CE du Mouvement universel pour une confédération mondiale. Il se lance à partir de 1950 dans l'action sociale, l'aide aux démunis et le lancement de projets «à partir de rien» pour les SDF et les nécessiteux. La fondation du hlm Emmaüs est la plus célèbre entreprise sociale de cet homme tourné vers l'action directe et les réalités de son temps: désormais, il se pose comme le chantre des SDF, des démunis et des pauvres. Dès lors, une amitié et un respect à l'échelle internationale l'entourent. C'est le même combat qui le mène, en 1991, à jeûner à l'église Saint-Joseph de Paris, avec «les déboutés du droit d'asile» qui font une grève de la faim dans l'indifférence générale, et qui l'a mené, hier, à Zemmouri, ville-martyr du 21 mai 2003. «La vraie vie ne commence pas après la mort, elle commence maintenant dans le choix que nous faisons chaque jour d'être égoïstes ou d'être solidaires et sensibles aux joies et aux peines des autres. Le plaisir, ce sera cet instant de pleine conscience où chacun se verra tel qu'il s'est fait : égoïste ou solidaire», disait avec conviction ce défroqué de l'Eglise, ce grand enfant de Dieu...