Très poignant, le film retrace avec des images bouleversantes la tragédie qu'a traversé le pays de 1988 à 1998. «Nous avons fait ce film, d'abord par devoir de mémoire à nos jeunes. Pour témoigner, exorciser ce passé douloureux et pour apporter des éléments de connaissance et aider les jeunes à y réfléchir afin de nous permettre d'ouvrir le débat dans cette société. Il faut qu'elle commence à dialoguer», a affirmé le réalisateur Belkacem Hadjadj lors de l'avant-première de son film El-Manara samedi soir à la salle Ibn Zeydoun. Le film traite de la tragédie nationale et politique, vécue par notre pays durant la décennie (1988-1998). Produit par Machahou Production et l'Entv, El-Manara d'une durée de 90 minutes, le film raconte l'histoire de trois amis: Asma, Fawzi et Ramdane, vivant tranquillement leur jeunesse à Cherchell. Leurs rapports vont changer selon l'évolution des convictions politiques et idéologiques de chacun d'entre eux. Le 5 octobre 1988 marque la naissance d'une nouvelle ère qui verra s'ouvrir enfin une brèche vers l'Algérie démocratique. Au moment où le peuple se soulève contre le pouvoir et la pensée unique, se prépare le nid des intégristes qui récupèreront les jeunes désoeuvrés par la misère et le chômage et les enrôler dans les rangs du FIS. «L'Algérie a vécu durant les années 1990 un véritable drame politique - l'a-t-elle vraiment surmonté? - une tragédie dont on ne mesure peut-être encore ni l'ampleur ni les implications», se demande le réalisateur. El-Manara, ce rite de tradition populaire musulmane qui se déroule à Cherchell pour célébrer chaque année la naissance du Prophète, est pour ces islamistes une pure «hérésie» comme il est montré dans le film. «Je suis contre l'intégrisme mais je ne veux pas faire le jeu du pouvoir en place»...«Je suis contre le pouvoir en place mais je ne veux pas faire le feu de l'intégrisme». Cet échange vif - moment crucial - entre Ramdane, jeune médecin, s'alliant aux islamistes, et Fawzi, journaliste, qui rejette ces derniers en bloc, met en exergue le choc de deux idéologies qui s'affrontent et séparent profondément les deux amis. L'un comme l'autre est convaincu de défendre une cause juste. L'un est séduit par les pensées - croit-il - «spirituelles et humanistes» des islamistes jusqu'au moment où leurs idées nihilistes et diaboliques prennent le dessus sur tout. Le terrorisme s'abattra sur la population comme un loup affamé. L'autre croit à un devenir meilleur. C'est un intellectuel progressiste qui sent immédiatement le danger du jeu des islamistes. «S'ils prennent le pouvoir, ce sera l'enfer dans ce pays», crie-t-il. Dans ce film où le scénariste Salim Aïssa affirme ne pas prétendre «fournir une explication mais juste susciter le désir de comprendre», la complexité des raisons qui ont provoqué le drame est palpable. Une vérité est suivie d'une contre-vérité qui vient annuler la première ou plutôt la nourrir et la compléter... pour «boucler la boucle». Parmi elles «le pouvoir tout comme les islamistes se servent de nous», lâche la comédienne Samia Meziane, le personnage fort dans le film car c'est le seul constant dans ses projets et convictions. Très émouvant, El-Manara, avec Tarek Hadj Abdelhafidh (Ramdane) et Khaled Benaïssa (Fawzi), a le mérite de toucher du doigt et de façon sensible la décennie noire en décrivant avec réalisme les scènes d'exécutions sommaires, les séquestrations de femmes et les viols au maquis. La violence est montrée crûment non plus de façon biaisée ou symbolique. La torture des jeunes révoltés du 5 octobre 1988 est dénoncée avec virulence. Le réalisateur a voulu ainsi porter un regard à la fois intérieur et sans complaisance sur la société, imputant à l'armée le «sale» boulot... Une plongée sociologique dans l'enfer de cette «guerre» innommable, avec un brin d'espoir à la fin... Le film revient sur un passé douloureux qui est encore vivace dans notre mémoire. Le film, on l'espère, sortira bientôt sur les écrans. Avis aux distributeurs cinématographiques.