«Construire une mémoire, un patrimoine ensemble.» C'est sous ce slogan, revenu comme un leitmotiv, que s'est clôturée hier, la 4e édition des rencontres cinématographiques de Béjaïa. La cinémathèque a vu défiler, cette année, comme à l'accoutumée, un public cinéphile hors pair en plus des invités. Inscrit autour de la mémoire de l'immigration, le film documentaire, projeté mercredi soir et qui a suscité beaucoup d'émotion et de réactions, nous a été montré dans le film d'Elisabeth Leuvrey, réalisé en collaboration avec Selma Hellal, tous ces Algériens voyageurs dont l'histoire et celle de leurs parents est attachée immanquablement à un port. Chaque été, ils sont nombreux à transiter par la mer entre la France et l'Algérie. Depuis le huis clos étouffant du bateau au coeur du va-et-vient incessant, ces femmes et ces hommes sont tiraillés entre deux terres. C'est à juste titre qu'un des personnages parlera d'un «3e monde.» Quoi de plus symbolique pour signifier ce tiraillement de ces gens qui nous ressemblent et auxquels Elisabeth porte un regard à la fois tendre et personnel? Pour ce faire, elle a dû faire 20 traversées et nous capter ces moments insaisissables, bouleversants. On est suspendu aux lèvres de ces voyageurs marins qui dénouent le fil de leur histoire et partant de toute une population d'immigrés. Pas facile est leur vie. Elle est d'autant chargée de sacs que d'amertume. Filmé avec beaucoup de pudeur et de tendresse, le film d'Elisabeth Leuvrey témoigne, en effet, de cette souffrance à travers une caméra confidente qui se laisse parfois prendre à la poésie de la vie...Dans un autre registre, plutôt naïf et intimiste, Samia Chaâla a, à travers son film documentaire, «Lamine La fuite» su nous dresser le portrait de cet homme de 35 ans qui n'a de cesse de «rêver» de partir vers d'autres cieux plus cléments. A travers ce cas de figure, c'est une partie de l'Algérie malade qui est décrite dans ce film. Pendant 15 ans qu'il ne cesse de prétendre à un visa vers la France, cet Eldorado semble pourtant inaccessible car miné par la passivité, le dégoût et l'amertume. Un peu démagogique, ce film peint, hélas, la mémoire d'un individu complètement perdu entre le réel et le phantasme. De la mémoire sociopsychologique de cet Algérien à la mémoire collective partagée entre l'Algérie et la France, il n y a qu'un pas. La journée du jeudi en a été l'exemple patent en consacrant, dans sa programmation, deux films sur Jaques Charby. Le premier a été réalisé par ce militant anticolonialiste qu'était cet homme qui nous a quittés en janvier dernier. L'un des tout premiers longs métrages produits par l'Algérie indépendante, ce film a pour thème la difficile réadaptation des enfants que la guerre a laissés orphelins à travers l'histoire de deux bandes rivales de gamins. A l'issue de la défaite d'une des équipes, Mustapha, le leader, un garçon dont les parents ont été assassinés par l'OAS, décide de se venger et déclare la guerre à l'équipe adverse jusqu'à la fin fatidique d'un des enfants qui sera exécuté après son jugement. Ce film renvoie aux exactions des adultes interprétées avec talent par des enfants qui, eux-mêmes ont véritablement connu des traumatismes. Très émouvant, ce film qui méritait d'être regardé plus que d'autres a, lui aussi, fait les frais de ces sempiternels problèmes techniques qui, au bout de la quatrième tentative, il a été décidé de suspendre la projection au grand dam du public! Révoltant, malgré tous les efforts consentis pour redéployer le 7e art en Algérie. Ceci ne saurait effacer cette méprise qui restera gravée comme une tache noire sur ces 4es rencontres cinématographiques de Béjaïa. Un révélateur de l'état de précarité de cette discipline en Algérie que ces instigateurs de Project'heurts et Kaïna Cinéma n'ont de cesse, pourtant, de relancer de différentes manières. La plus belle, on ne le répétera pas assez, reste ces ateliers très instructifs qui ont été bénéfiques à plus d'un titre et pour de nombreux jeunes stagiaires et cinéastes en herbe. Celui qui sort du lot reste incontestablement cet admirable jeune de Timimoun , Ismaïl, qui anime au sein de l'Oasis rouge un ciné-club, grâce aux connaissances et savoir qu'il a engrangés en la matière depuis plus 2 ans qu'il fréquente ces rencontres et, notamment, le Festival du film de Timimoun, jadis. C'est ce qu'on appelle un élève assidu et studieux qui s'est distingué lors des débats par son esprit vif et son intelligence. Revenant au thème de la mémoire qui a marqué le fond des rencontres cinématographiques de cette année, Mehdi Lalloui, qui a rendu hommage à Jacques Charby à travers son film «Porteur d'espoir» nous confiera en aparté l'objectif de son association citoyenne et militante «Au nom de la mémoire» qui consiste à mener des actions en faveur de l'écriture de l'histoire et en plus de la monter en image. «Notre objectif est de rendre visible et accessible cette histoire partagée entre l'Algérie et la France, fût-elle douloureuse. On veut savoir et comprendre mais pas juger. Il s'agit de notre besoin de dire et de vérité. On ne veut pas d'histoire officielle et d'occultation. C'est notre histoire collective On est des combattants de la fraternité». Bouleversant, ce film, qui débute et se termine par des images de recueillement au cimetière, est le fruit d'un travail entrepris pendant 6 ans, dans lequel Jaques Charby évoque son lien passé avec le réseau Jeanson et, notamment, ces hommes français qui étaient pour l'indépendance de l'Algérie. Un destin commun, hélas, peu connu ou ignoré dans les manuels scolaires. Il parlera aussi, les yeux en larmes, de son garçon adoptif, Mustapha, qui fut traumatisé à vie par la guerre. Des vérités qui, même si elles font mal à entendre, doivent être quand même sues et consignées, que ce soit dans les livres ou en images et constituer enfin une trace....une mémoire! Un thème finalement assez judicieux que les organisateurs ont choisi d'aborder cette année avec justesse et discernement, malgré les quelques cafouillages techniques qui ont émaillé ces rencontres.Mais ceci est une autre histoire. Autre élément innovateur cette année, est la programmation de trois soirées de projections en plein air dans les cités universitaires qui ont permis aux étudiants de se familiariser avec la magie du cinéma. Aussi, on introduira, cette saison, la programmation de films expérimentaux, notamment ceux de Ammar Bouras qui ont apporté un souffle neuf sur les débats et la manière d'interpréter ces «images plastiques». Un petit progrès tout de même...On n'oubliera pas ce film portant sur la mémoire d'un enfant de Béjaïa , Djamel Allam qui égaiera la soirée du vendredi soir. Une mémoire de chansons est véritablement cet artiste qui a beaucoup donné pour le patrimoine musical algérien.