Un film clairvoyant qui décrit la montée de l'obscurantisme en Algérie face aux velléités démocratiques de la période allant de 1988 à 1998... Le dernier né de Belkacem Hadjadj, El Manara, a fait l'objet, jeudi, d'une rencontre-débat à l'occasion de sa sortie nationale dans les salles, le 7 avril et ce, à Alger (Algéria et Ibn Zeydoun), Tizi Ouzou (Maison de la culture), Béjaïa (Cinémathèque), Annaba (Cinémathèque), et Constantine (salle El Khalifa). «L'Algérie a vécu, durant les années 90, un véritable drame politique. L'a-t-elle vraiment surmonté ? Une tragédie dont on ne mesure peut-être encore ni l'ampleur ni les implications...», s'interroge le réalisateur. C'est à partir de ce constat qui pousse à la réflexion que le film El Manara existe. «D'abord par devoir de mémoire à nos jeunes pour témoigner, exorciser ce passé douloureux et pour affronter des éléments de connaissance et aider les jeunes à y réfléchir afin de nous permettre d'ouvrir le débat dans notre société», soutient encore Belkacem Hadjadj. Ayant raflé deux prix au Festival de Ouagadougou (prix du meilleur réalisateur pour Belkacem Hadjadj et prix du meilleur second rôle féminin attribué à Sonia Nouaceur), El Manara confronte, plus qu'il n'oppose, deux façons de voir la vie, deux projets de société. L'une basée sur le fanatisme religieux, et l'autre sur la démocratie. Le film retrace le passé écorché de l'Algérie de 1988 à 1998. Il parvient à démontrer comment s'est opérée la montée en puissance de l'intégrisme chez certains aux dépens de l'ignorance des autres et de leur passivité. Asma (Samia Meziane), Fawzi (Khaled Benaïssa) et Ramdane (Tarek Hadj Abdelhafid) sont amis et mènent une vie faite d'insouciance et de joie. Une joie que la divergence d'opinions va ternir et sera remplacée, plus tard, par les larmes et le drame. Les émeutes d'octobre 1988 et leurs pendants, répression, bouleversement social et choc politique vont ouvrir une voie vers la démocratisation. Les années passent et les penchants de ces jeunes et leurs idéaux vont crescendo jusqu'à s'affirmer. Fawzi, jeune journaliste ambitieux, trouve le salut du pays dans les libertés démocratiques. Il est le prototype de l'intellectuel progressiste qui refuse tout dialogue avec les islamistes. Sa façon de voir les choses autrement que son ami, le médecin, va d'ailleurs provoquer la rupture radicale de leur relation. Celle-ci est rompue fatalement par la voie tragique que Ramdane a décidé de prendre. Sensible, au départ, à la détresse des petits gens, il s'alignera, comme beaucoup l'ont fait, aux côtés des islamistes jusqu'à rejoindre le maquis. Son esprit «aliéné» par les terroristes sera rongé par la haine et le mépris affichés contre ceux qui, désormais, font partie du camp des mécréants. A chacun son camp. Le démon s'emparera de lui quand il violera son ancienne amie Asma, séquestrée dans le camp. Revenu à de meilleurs «sentiments», Ramdane se rend compte un peu tard de la bêtise de ses actes, lui, l'humaniste censé sauver des vies... Très émouvant, le film raconte plus qu'il n'analyse ce qui s'est passé dans notre pays. El Manara décrit la folie, donne la parole sans parti pris. Belkacem Hadjadj a voulu de par ce film laisser une trace cinématographique de cette décennie sanglante qui nous a marqués. Sans tomber dans l'excès ou la caricature, le film donne à voir comment l'Algérie a basculé dans le chaos. Une lecture psychosociale qui a su «balayer» avec authenticité des événements qui ont longtemps fait l'actualité et la une des médias en général. Pourquoi El Manara? Cela aurait pu être Yennayer ou un autre rite symbolique. Belkacem Hadjadj a pris comme prétexte ce rite de tradition populaire musulmane qui célèbre la naissance du Prophète, chaque année, à Cherchell. Une pratique jugée «hérétique» par les intégristes dans El Manara. C'est de là que prend tout le sens du film et que se conçoit sa construction. Belkacem Hadjadj met le doigt sur cette fracture culturelle qui tend à supprimer ses repères socio-idéologiques et les remplacer par d'autres, nihilistes. Poignant, le film soulève avec retenue et sans grandiloquence un pan essentiel de notre histoire. El Manara gagne en crédibilité, car soutenu par la clairvoyance du scénariste Salim Aïssa et la maîtrise de la mise en scène. Né en 1950, Belkacem Hadjadj est comédien, producteur et réalisateur. Il a fait ses études de cinéma à l'Insas de Bruxelles et a enseigné à l'université d'Alger. Il a plusieurs films à son actif: Le bouchon (téléfilm, 1980), Bouziane El Kalaï (téléfilm, prix Venezia Genti à la Mostra de Venise en 1984), La Goutte (court métrage, 1er prix au Festival d'Amiens en 1991) et le fameux Machahou (1996) plusieurs fois primé (Montpellier, Bastia, Fribourg, Ouagadougou, Milan...). Signalons aussi les documentaires L'arc-en-ciel éclaté, Femme taxi à Bel Abbès et le divertissement Taxi Medjnoun (diffusé lors du Ramadan 2000). Belkacem Hadjadj a également produit le feuilleton L'absent (2002). Enfin, produit par Machahou Productions, El Manara (le phare), film de 90 minutes est à voir donc.