au moment où le Liban domine la scène politique internationale, il n'est pas possible d'évoquer ce pays sans y associer un film et un cinéaste algériens. Le film, c'est Nahla et le cinéaste, c'est Farouk Beloufa. A la faveur des derniers développements que connaît le Liban, l'œuvre de Farouk Beloufa prend un retentissement considérable, et vingt-cinq ans après, elle reste d'une prenante actualité. Beloufa avait tourné Nahla au plus fort de la guerre civile qui déchirait le Liban, et il l'avait fait au péril de sa propre vie et de celle de toute l'équipe du film. Cette fresque splendide, écrite avec Rachid Boudjedra et la regrettée Mouny Berrah, est un moment poignant de cinéma. Mais un grand moment où dans le drame de la guerre Farouk Beloufa avait trouvé les accents d'un Ingmar Bergman pour dessiner de bouleversants portraits de femmes. Nahla, rapidement déclinée, s'est superposée à cette tragédie de la guerre, le drame d'une jeune chanteuse qui perd sa voix. Son silence dès lors ne pouvait être que plus fort qu'un violent cri. Filmé en temps réel, dans ce Liban en pleine tourmente, Nahla est un témoignage inestimable pour sa valeur esthétique et historique. Le film révélait, au surplus, en Farouk Beloufa, un cinéaste au summum de la maîtrise de son métier. Même s'il n'en était pas à son premier essai en la matière - le réalisateur avait à son actif Libération, un documentaire rigoureux sur la révolution algérienne -, Farouk Beloufa introduisait un nouveau souffle dans le cinéma national auquel il apportait une dimension universelle. Formé à l'éphémère Institut du cinéma d'Alger, dans les premiers mois de l'indépendance du pays, puis à l'IDHEC de Paris, Farouk Beloufa était d'abord un homme tourné vers la réflexion et la recherche critique, et à ce titre il avait une capacité d'analyser le mouvement des idées dans ce qu'elles avaient de correspondance avec la vie artistique et littéraire qui ne pouvait pas être pleinement saisie sans son substrat idéologique. Cette capacité d'analyse était couplée, chez lui, à un amour passionné du cinéma. Farouk Beloufa a pourtant réalisé peu de films et Nahla exprimait d'une manière évidente l'étendue de ses possibilités. Comme les autres cinéastes algériens, il a souffert de la disparition des entreprises audiovisuelles et cinématographiques nationales. Contraint à l'exil, le cinéaste portait des projets, dont un film sur Isabelle Eberhardt et une adaptation du roman de l'écrivain marocain Mohamed Choukri, Le Pain nu, qui n'ont pas été concrétisés. Est-ce une consolation ? C'est un autre cinéaste algérien établi en Italie, Rachid Benhadj, qui a réalisé Le Pain nu. auparavant, Djaffar Damerdji avait consacré un film à Isabelle Eberhardt. Ceux qui ont approché Farouk Beloufa ces dernières années le décrivent comme très affecté par l'inaboutissement de projets qu'il tenait à mettre en œuvre, mais pour lesquels il n'a pas trouvé les appuis nécessaires, notamment de la part des institutions de son pays. Les potentialités créatrices qu'il avait démontrées dans Nahla n'ont pas été prises en compte par les institutionnels, qui en Algérie, même se sont désintéressés du sort d'un cinéaste de cette envergure qui ne peut s'exprimer que dans son art. C'est une situation qui ne peut être vécue que douloureusement par tous les cinéphiles qui assistent à la disparition du cinéma algérien et à l'abandon de ceux qui ont contribué à le faire et participé à faire exister le pays dans l'univers des images. A cet égard, Nahla est l'un des films algériens qui aura été le plus vu en Europe ces vingt dernières années grâce à sa diffusion par différentes chaînes de télévision, dont Canal Horizons et TV5, mais dans le même temps il n'est plus que rarement montré en Algérie. Farouk Beloufa, pour le motif même de l'ampleur et du retentissement de son œuvre, est en droit d'attendre la reconnaissance qu'il mérite dans son pays. Fixé en France, il travaille dans une salle de cinéma tenue dans la région parisienne par des amis du cinéaste et du cinéma algérien.