Mustapha Kateb s'est farouchement opposé à la décentralisation des théâtres qu'il estime précoce. Il y a 15 ans, disparaissait le plus génial des hommes de théâtre algérien, Mustapha Kateb, ce metteur en scène prolifique, ce comédien talentueux, cet artiste qui porte son métier jusque dans le fond de son être. Un hommage lui a été rendu, mercredi dernier, au Théâtre national algérien (TNA) par l'association Michaâl Echahid qui a convié plusieurs de ses amis et compagnons. On cite Kouiret, Saboundji, Dalila H'lilou... Considéré comme l'un des piliers du 4e art en Algérie, Mustapha Kateb est né le 8 juillet 1920 à Souk-Ahras. Son oeuvre est des plus prolixes. Il a mis en scène pas moins de 11 pièces de théâtre, en l'espace de 10 ans. Il crée sa propre troupe, El Masrah, qui deviendra El Masrah El Djazaïri, avant sa vingtième année, en 1940. Cette expérience précocement acquise fait que notre artiste contribue activement, aux côtés de l'autre géant, Mahieddine Bachtarzi, à donner un nouveau souffle au théâtre algérien. Cette aventure a été d'ailleurs sanctionnée par la création, en 1958, de la troupe artistique algérienne (TAA). Appuyé par le Front de libération nationale (FLN), cette troupe a démontré que, malgré la violence de la guerre, le peuple savait encore «apprécier la valeur de l'art, de la musique et les douceurs de la vie». «Théâtre du peuple par le peuple, théâtre de combat, les pays frères et amis ont reçu durant la lutte de Libération une troupe qui a montré le vrai visage de l'Algérie révolutionnaire. Il leur a apporté également le salut d'un peuple épris de liberté et de paix. Après la «grande fresque historique», montage poétique de théâtre, chants et danses, Abdel Halim Raïs, auteur algérien qui était aux côtés de la TAA a écrit trois pièces théâtrales durant la guerre qui étaient présentées tour à tour aux spectateurs des peuples frères et amis, en l'occurrence «Les enfants de la casbah», «El Khalidoun»...Ces pièces ont été mises en scène par Mustapha Kateb» a souligné Brahim Nouel, conseiller artistique au TNA et enseignant à l'Institut national des arts dramatiques de Bordj El Kiffan. Cependant, en travaillant d'arrache-pied au sein de cette troupe, Mustapha Kateb n'avait qu'un seul et unique souci: faire inculquer l'amour du théâtre dans les coeurs des basses couches de la société. «Mustapha a lutté pour que cet art soit considéré à sa juste valeur. Il a fait de son mieux pour faire parvenir le cri de la révolution algérienne au fin fond du monde» a déclaré Sid Ali Kouiret, lui, qui a été très proche de cette figure de proue de l'expansion du théâtre en Algérie. Il a, à cette occasion, évoqué la passionnante et néanmoins dangereuse aventure qu'ils ont menée ensemble. Une aventure qui les conduira à Berlin, en pleine guerre. «Une fois arrivés à Marseille, nous n'avions aucun sou. Nous avions dû faire de l'auto-stop pour franchir le seuil de Paris. Et là, nous étions accueillis par la communauté immigré. C'est dans les cafés parisiens et devant un public algérien et maghrébin qui se montrait de plus en plus enthousiasmé, que nous avions joué plusieurs pièces». Mais, ajoute Kouiret «ce dont nous avons souffert le plus, c'est le manque de femmes dans notre troupe et en dépit de ces circonstances difficiles, nous avions pu rejoindre Berlin la Rouge». Après l'indépendance du pays «Mustapha Kateb devient, et pendant dix ans, le premier directeur du théâtre national algérien, avant de claquer la porte en 1972» a noté le comédien Abdel Hamid Rabia qui a préféré ne pas se prononcer sur cette étape si importante dans la vie du théâtre algérien. En effet, Mustapha Kateb s'est farouchement opposé à la décentralisation des théâtres qu'il estime précoce. Mais nul n'a pu contester la décision du ministre de la Culture, M.Ahmed Taleb El Ibrahimi, qui a procédé à la création des 7 théâtres régionaux. Ce conflit l'a poussé à quitter le TNA pour n'y revenir que 16 ans après, le 19 août 1988. Ce retour du «seigneur incontesté et incontestable» a soulevé des tollés. Une année plus tard, le 28 octobre 1989, la violente leucémie fait appel au vent de la mort qui souffla à Marseille et emporta l'âme de Mustapha Kateb loin de ce bas monde rongé par la bassesse et les coups dans le dos. Il s'en va le même jour que son cousin Yacine le Keblouti.