«Le Gpra avait été le seul gouvernement ayant eu le soutien de toutes les couches du peuple», selon Aït Ahmed. «Le droit à l'autodétermination a été confisqué et l'assemblée constituante a été dessaisie du droit légitime de fonder les bases de l'Etat algérien, au profit d'instances plus ou moins mafieuses». C'est par cette précision «historique» que le président du Front des forces socialistes, M.Hocine Aït Ahmed, a entamé son intervention dimanche soir, devant plus de 4000 personnes, venues assister à la conférence-débat organisée à la salle omnisports d'Aïn El Benian, à l'occasion du 1er Novembre. Une rencontre à laquelle ont pris part deux autres personnalités politiques, en l'occurrence, l'ancien secrétaire général du FLN, M.Abdelhamid Mehri, et l'ex-chef du gouvernement, M.Mouloud Hamrouche. Le président du FFS a donné un avant-goût de ce que va être la suite des débats. En fait ce qui devait être un témoignage sur une étape importante de l'histoire du pays s'est mué en un véritable réquisitoire contre le pouvoir. Et pourtant, c'est par une note d'espoir que le vieil opposant a clos son discours. «En temps de paix rien n'est impossible», lance-t-il à l'assistance, avant d'ajouter: «Nous sommes prêts à oeuvrer pour une autre ère, y compris avec le pouvoir si ce dernier se rend compte de l'existence d'un peuple qui aspire à la démocratie et à la paix.» Aït Ahmed fermera aussitôt cette parenthèse. On n'en saura pas davantage sur ses intentions, ni sur les sous-entendus de cette déclaration. Aït Ahmed faisait-il allusion à une réconciliation qui espère déboucher «sur un retour à la paix», comme il l'a déclaré samedi à son arrivée à l'aéroport Houari Boumediene? Il lance plus loin un autre message: «Il faut que nous nous écoutions les uns les autres. Toutes les initiatives sont bonnes». Mais Aït Ahmed est-il en mesure d'écouter le pouvoir? La réponse à cette question est forcément négative, si l'on s'en tient à ses interventions lors de la conférence. Aït Ahmed a saisi cette rencontre pour marquer encore une fois ses distances avec le pouvoir, l'actuel et celui qui a géré l'Algérie depuis l'indépendance. Le verdict est tranchant et sans appel: «Le gouvernement provisoire de la République algérienne (Gpra) avait été le seul Exécutif ayant le plein soutien de toutes les couches du peuple». «Moi j'ai choisi mon camp, et mon camp c'est avec le peuple», a-t-il lancé à l'adresse de la foule. Les trois personnalités ont effectivement évoqué le passé révolutionnaire de l'Algérie. Mais à chaque fois, le débat basculait dans le présent et des «erreurs» de l'après-indépendance. «Nous n'avons pas su tirer les leçons de huit ans de lutte contre la plus puissante force coloniale. Si on l'avait fait, on ne serait pas tombé dans une autre guerre». Aït Ahmed parle du verrouillage du champ politique, du non-respect des droits de l'homme, de l'Etat d'urgence qui s'éternise. «Nous pensions avoir tourné la page de la décennie noire, la vérité est que le pouvoir est en train de préparer une autre décennie plus noire encore». Ainsi le vieil opposant accuse le pouvoir de pousser les gens à basculer dans la violence. «Les scénarios se suivent et se ressemblent, en Kabylie à Ghardaïa et bien avant, avec le FIS en 1989.» Du côté de Mouloud Hamrouche, la même virulence dans le discours est enregistrée.«Nous nous sommes réunis aujourd'hui parce que nous n'avons pas le droit d'être libres», lance-t-il aux milliers de jeunes. Ce dernier a estimé «qu'il y a eu construction, au lendemain de l'indépendance, d'un pouvoir à la place d'un Etat souverain». Brossant un tableau de la situation qui prévaut dans le pays, l'ancien chef du gouvernement fait le constat suivant: «Nous sommes en face d'une justice manipulée, et d'un Etat qui n'assume pas son rôle de médiateur». Hamrouche rebondit sur la décennie noire en déclarant: «Il est extrêmement difficile de convaincre par les discours, ce qu'on a détruit par la violence». Pour Abdelhamid Mehri, «l'Algérie n'a pas réussi à fonder un Etat démocratique comme l'avait voulu l'appel du 1er Novembre». Ancien secrétaire général du FLN, il s'est permis de revenir sur la crise que traverse le parti, pour dire que «Le FLN est devenu, après l'indépendance, un appareil au service du pouvoir». Prenant la défense de l'ex-parti unique, il dira qu' «au sein du FLN, nous avons toujours encouragé les débats contradictoires». L'orateur préfère, par ailleurs, utiliser le mot «violence» au lieu de «terrorisme» pour plaider en faveur d'une gestion politique de la crise, constatant «les limites du tout-sécuritaire». Les trois personnalités politiques ont néanmoins voulu restituer «quelques vérités historiques». «L'indépendance était le résultat d'un combat mené par tout le peuple, avec toute son appartenance politique confondue». Aït Ahmed dira que «le recours aux armes ne traduisait en aucun cas l'échec du politique». «Ce choix avait été la conséquence de plusieurs déceptions face à l'intransigeance des autorités coloniales». «C'est l'impasse coloniale qui a conduit les Algériens à opter pour la seule issue qui leur restait: les armes».