Le «20 Août», ce sont en fait deux dates et deux évènements qui ont constitué le tournant irréversible de la révolution et le point de non-retour de la guerre pour l'indépendance. Le 20 Août 1955, alors que la lutte s'essoufflait, eurent lieu ce que l'actualité de l'époque avait qualifié «d'évènements du Nord-Constantinois» quand l'Armée de Libération nationale (ALN) a frappé un grand coup en reprenant l'initiative singulièrement à Constantine et à Skikda et dans de nombreuses autres villes de l'Est du pays. Par son caractère massif et organisé, par les territoires qu'il a touchés, le sursaut révolutionnaire du 20 Août 1955 a été considéré par les historiens comme le «véritable coup d'envoi» de la guerre d'Algérie marquant l'impossibilité d'un retour en arrière du combat pour la libération. Nous en commémorons aujourd'hui le 60e anniversaire. Le 20 Août 1956 - suite logique de la reprise [un an plus tôt] de la lutte de libération sur de nouvelles bases - a été organisé le Congrès du FLN, dans la vallée de la Soummam, en plein coeur des maquis de la Wilaya III historique. Ce congrès organisé par Abane Ramdane - auquel participèrent plusieurs figures de l'insurrection armée - a été la pierre angulaire de la révolution algérienne qui traça les objectifs assignés à la lutte de libération, réorganisa le pays en six wilayas et mis en place les administrations politico-militaires. Le congrès avait, en particulier, mis en exergue la «primauté du politique sur le militaire», et celle de «l'intérieur sur l'extérieur». Un officier de l'ALN de la wilaya IV eut ce cri du coeur: «Le congrès de la Soummam nous a donné ce formidable sentiment que nous avions déjà un Etat.» En effet, les conséquences de ce double «20 Août» ont été de booster la révolution qui est repartie sur des bases plus saines. Toutefois, les révolutions, mémoire des hommes et des générations, sont tributaires de la manière avec laquelle elles sont expliquées. Elles peuvent tomber dans l'oubli ou, plus grave, être altérées et/ou manipulées pour des desseins inadéquats. Aussi, les faits et actes des hommes consignés au long du temps sont-ils autant de points de repère qui disent l'Histoire d'un peuple, d'une nation. C'est cette Histoire, fondement identitaire d'un peuple au même titre que la langue et les croyances religieuses, dont les jeunes générations ont été sevrées. Quels jalons a-t-on montrés à nos enfants? Quels écrits ont préparé ces générations à cette connaissance d'un passé glorieux qui les aide à construire un futur de lumière? Comment ces jeunes Algériens peuvent-ils appréhender leur devenir alors qu'on les a tenus coupés de leur passé et de leur histoire, qu'ils sont restés dans l'ignorance des noms des héros qui se sont sacrifiés pour que le pays recouvre la liberté? Au moment où l'Algérie célèbre le 60e anniversaire du sursaut révolutionnaire du Nord-Constantinois et le 59e anniversaire du Congrès de la Soummam, nombreux sont les Algériens de la génération de l'Indépendance qui ne savent rien sur leur pays, sur son Histoire, sur le Mouvement national et ses faits d'armes. Sur tous ces faits, motus, l'Histoire (officielle) est restée silencieuse, qui n'a pas cru devoir prendre en charge cet aspect de la formation de l'identité nationale en donnant à la jeune génération les repères de son historicité. Les manuels scolaires orientés n'ont pas permis à la jeunesse algérienne de connaître ses héros, les pères de la Révolution. Est-il dès lors surprenant que les jeunes Algériens n'aient fait la connaissance de l'un des monuments de la révolution, Mohamed Boudiaf, que lors de son retour d'exil en janvier 1992, trente ans après l'indépendance du pays? Qui aujourd'hui connaît le nom des Six qui ont, un jour, décidé qu'il était temps de passer à l'action? Mustapha Ben Boulaïd, Mohamed Larbi Ben M'hidi, Krim Belkacem, Mourad Didouche, Mohamed Boudiaf, Rabah Bitat, qui sont-ils? Quel a été leur itinéraire? Quels ouvrages ont été consacrés à ces hommes qui ont tout donné pour que l'Algérie vive libre? Au moment où l'Algérie célèbre ces deux dates, déterminantes dans l'Histoire nationale, quels ouvrages, quels films, quels documentaires télévisés leur ont été consacrés pour en expliquer la genèse et la portée? Or, le compte est vite fait: rien! Du fait que les hommes de la révolution ont disparu, que 75% de la population algérienne a moins de 60 ans (née après le 1er Novembre 1954), la légitimité historique n'a plus de sens et s'en réclamer en 2015 est une absurdité. Mais cette légitimité historique peut prendre un autre sens, celui de redonner à l'Histoire toute sa plénitude et à la geste héroïque des Algériens sa signification, car la légitimité historique ne peut plus justifier le pouvoir sur les Algériens, elle doit, en revanche, ouvrir la voie pour reconstruire les jalons de notre Histoire et les repères identitaires de notre pays.