Les deux anciens chefs de gouvernement L'Algérie était déjà passée par la case «opulence» avant de connaître la descente aux enfers de l'endettement. Les difficultés qu'annonce la dégringolade des prix du pétrole rappellent une situation pas si lointaine où le pays ne disposait que de quelques semaines d'importations. Une époque où l'arraisonnement d'un bateau de blé dur était une affaire d'Etat qui mobilisait le chef du gouvernement en personne. Durant toute la décennie rouge où le pays était livré à la violence terroriste et aux affres de l'ajustement structurel imposé par le FMI, l'action gouvernementale se limitait à une comptabilité macabre sur le plan sécuritaire et des négociations à l'issue incertaine avec les institutions financières internationales. Deux anciens chefs de gouvernement qui ont connu cette terrible période de la vie de la nation, Mokdad Sifi et Ahmed Ouyahia, se sont exprimés, à un mois d'intervalle, non pas pour apporter leur témoignage sur cette terrible décennie, mais pour alerter l'opinion et l'Exécutif sur la difficulté de la tâche qui attend le Premier ministre et son équipe. Ahmed Ouyahia avait, rappelons-le, préconisé de dire toute la vérité aux Algériens sur l'épineuse situation qui sera tôt ou tard la réalité de l'Algérie. En effet, même si le pays dispose d'un sursis de quelques deux ou trois années, la raréfaction des ressources financières et l'impossibilité d'en trouver d'autres à court terme ne relèvent pas de la politique-fiction, mais expriment la dure vérité que les Algériens doivent affronter avec un maximum de lucidité. Ce sont là en substance les propos d'un ancien chef du gouvernement qui a entamé son mandat à la tête de l'Exécutif avec des ponctions sur les salaires des fonctionnaires et des travailleurs du secteur public. En arrivant au Palais du gouvernement, Ahmed Ouyahia devait faire face à une situation inextricable. Mais avant d'en arriver là, l'Algérie était déjà passée par la case «opulence» avant de connaître la descente aux enfers de l'endettement. Le processus était bien plus rapide lors du choc pétrolier de 1986. En deux ans, le pays s'est retrouvé en situation de cessation de paiement. La pente s'était transformée en falaise en 1994, avec le recours au plan d'ajustement structurel du FMI. Aujourd'hui, grâce à une gestion prudente des finances, le délai a été allongé de quelques années. En effet, même avec un pétrole à 20 dollars, les Algériens ne sentiront véritablement la crise qu'en 2020 ou 2022, après l'assèchement du Fonds de régulation des recettes et l'amoncellement d'une dette extérieure, dont on n'y échappera pas, relèvent les observateurs. Le propos d'Ouyahia trouvera donc toute sa pertinence dans les prochaines années. Et si l'ancien chef du gouvernement a semblé insister sur le parler-vrai, c'est qu'il a eu, en 1995, à gérer les conséquences d'une politique de fuite en avant. L'autre patron de l'Exécutif, au plus fort de la guerre contre le terrorisme, Mokdad Sifi, dont le gouvernement a, rappelons-le, organisé la première élection présidentielle pluraliste de l'histoire de l'Algérie indépendante, a géré, lui aussi une situation apocalyptique au double plan social et économique. Les bateaux de blé, l'inflation à trois chiffres et l'abattement total était le quotidien des Algériens. Sifi disait avoir un programme, mais pas d'argent ni de stabilité sécuritaire pour le mettre en oeuvre. De fait, lui et son équipe raclaient les fonds de tiroir et couraient les fonds régionaux et autres «pays frères» pour trouver quelques fragiles appuis financiers. La récente sortie médiatique de Sifi vise à rappeler que l'Exécutif actuel a les moyens et le temps de voir venir. Mais quoi qu'il fasse, c'est inéluctable, le «tunnel» est un passage obligé. C'est là le message de deux anciens chefs de gouvernement qui ont pris les commandes du pays après la signature du rééchelonnement de la dette extérieure du pays. On peut éviter l'extrême, mais on s'y rapprochera forcément.