Transmis à temps à qui de droit, le BMS (bulletin météo spécial) n'aurait pas reçu le traitement adéquat. Alger a vécu la nuit de samedi à dimanche, ainsi que la journée suivante, au rythme des alertes, des drames et des opérations de sauvetage bien souvent désespérées. C'est vers 1 heure du matin que nous apprenons que plusieurs bateaux, en rade ou bien amarrés dans le port, seraient en grave difficulté. Nous arrivons juste à temps à la capitainerie du port, pour constater une effervescence sans pareille, avec la présence de l'ensemble des responsables concernés, à commencer par les P-DG du port et de la Cnan, respectivement MM.Ferah et Koudil. Le tableau est vite brossé par le chargé de la communication au port, pourtant pas directement concerné par les sauvetages, ni par les navires en difficulté. Ainsi, le navire battant pavillon allemand, Sea Reader, a lancé un SOS aux environs de 14 heures à cause d'une panne dans ses machineries. Il a risqué d'entrer en collision avec le céréalier algérien Béchar, lequel a rompu ses amarres, avant de sombrer corps et biens, avec pas moins de 22 marins à son bord non loin de la jetée Kheïreddine. Le navire allemand a été secouru par le remorqueur Sidi Abderrahmane quelque deux heures plus tard. Pour revenir au Béchar, il semble que le mauvais état du bateau de la Cnan, ajouté à l'inexpérience des marins qui se trouvaient à son bord, soient derrière ce drame. C'est, du moins, ce que nous ont signalé de nombreux gens de mer rencontrés hier, dont la plupart étaient venus pour prêter gracieusement main forte à leurs collègues en difficulté. Deux remorqueurs, Benboulaïd et Isser, dépêchés pour porter secours au Béchar, qui n'a pu virer, ni cisailler ses ancres, n'ont pas réussi à l'approcher à cause de la mer très mauvaise, avec des vagues de dix mètres de hauteur. En tentant coûte que coûte de sauver le Béchar, le chef mécanicien de Sidi Abderrahmane, arrivé en renfort, a eu les jambes broyées après avoir été pris en sandwich entre son bateau et l'Isser. Deux autres marins sont tombés à l'eau. L'un a été repêché plusieurs heures après, alors que le corps sans vie du second a été repêché au milieu de la nuit à hauteur de la Sablette. En outre, trois navires, de nationalités hollandaise, portugaise et panaméenne, ont également cassé leurs amarres alors qu'ils se trouvaient dans l'enceinte portuaire. Des «SOS» à la pelle Vite secourus par des remorqueurs, ils ont pu être mis en rade bien avant la tombée de la nuit. Dans le courant de la même nuit, un homme blessé aux bras a également été repêché alors qu'un marin, de nationalité égyptienne, a également trouvé la mort du côté de Dellys, dans la banlieue maritime est d'Alger. Le céréalier Million, amarré au quai 35/1, a rompu ses amarres avant de demander assistance et être sorti en rade. Un chalutier, fort heureusement inoccupé, a coulé au niveau de la pêcherie où beaucoup de petits bateaux ont dû être secourus in extremis par leurs propriétaires et par des agents de la Protection civile et des gardes-côtes venus en renfort. Le vraquier Batna, en panne de ses machines, a également subi une grave avarie avant de venir s'échouer sur les côtes, provoquant un encombrement sans précédent au niveau de la Moutonnière où les automobilistes s'arrêtaient pour contempler le spectacle. Ce n'est que le lendemain, après une nuit d'angoisse et de peur, que les marins emprisonnés à bord du Batna, ont pu être secourus par les très compétentes équipes de la Gendarmerie et de la Protection civile. L'opération, qui a duré plus de deux heures, entre 12 heures et 14 heures 30 minutes, a été menée à l'aide de simples cordages, poulies et harnais. Cela montre à quel point notre pays manque cruellement de moyens pour faire face à ce genre de situation, certes exceptionnelle. Ce constat, du reste, nous est confirmé par un spécialiste du milieu de la navigation s'exprimant sous le sceau de l'anonymat. Confirmation nous est ainsi donnée du «déficit de notre pays quand il s'agit de faire face à ce genre de catastrophe». Des marins, presque à visage découvert, n'hésitent pas à parler de «négligence criminelle» alors que le P-DG de la Cnan s'en défend farouchement en soulignant que «tout a été fait dans le but d'éviter le pire». Le P-DG du port d'Alger, présent partout, d'un dynamisme sans faille, nous a patiemment expliqué que la structure qu'il dirige n'est en rien responsable de cet état de fait, ajoutant qu'elle fait bien plus que ce qui lui est demandé. Une cellule de crise ministérielle et pluridisciplinaire a même été mise en place dès la tombée du BMS. Les forces de l'ANP ont immédiatement été mises en alerte. Un avion et un hélico ont pu décoller pendant quelque temps avant d'être de nouveau cloués au sol à cause du très mauvais temps qui a continué de sévir jusqu'à une heure nocturne avancée. Seuls les remorqueurs et les vedettes des gardes-côtes ont pu continuer d'intervenir en haute mer et au niveau du port afin de porter assistance à la dizaine de navires en difficulté. Le chef du gouvernement et le ministre de l'Intérieur, conscients de la gravité de la situation, se sont tous les deux déplacés au QG de la cellule de crise afin de prendre connaissance de tous les moyens déployés en vue de venir en aide aux bateaux et marins en détresse. Plus jamais ça! Le lendemain, un citoyen turc, dépêché par son ambassade, s'est adressé à la cellule pour demander des nouvelles du Wanda Sea. Celui-ci, a-t-on pu apprendre, a lancé un SOS aux environs de 17 heures 30 avant de perdre tout contact une demi-heure plus tard. Il avait à son bord, une personne décédée, un marin, et une autre gravement blessée, le second capitaine. Le navire, après avoir malencontreusement échoué sur des hauts fonds, a pu prendre le large et se sortir de cette mauvaise passe sans nouveaux dommages, devait-on apprendre hier. Les experts consultés demeurent mitigés dans leurs jugements, exigeant au passage une commission d'enquête afin que soient situées aussi bien les responsabilités que les déficiences et que soient évités à l'avenir des drames de cette ampleur. Nos sources indiquent ainsi que les défaillances étaient telles que «nous avons été obligés de faire appel à des aides étrangères». En effet, un hélicoptère espagnol est arrivé sur les lieux aux environs de deux heures du matin. Jusqu'à quatre heures du matin, de la même nuit, il a sillonné la région, en pleine bourrasque, dans le but de localiser avec exactitude les bateaux en difficulté, mais aussi quelque éventuelle personne à la mer, ou petit bateau attardé et pris par la tempête. Conformément au bulletin météorologique spécial, tombé la veille, notre source, qui soutient que les mesures préventives idoines n'ont pas été toutes prises convenablement et à temps, n'en ajoutent pas moins, à la décharge des responsables incriminés, que «la tempête a été exceptionnelle, déclenchant des vents de force 9 alors qu'ils étaient à 3 en l'espace d'une heure à peine». Un vent de force 9, soulignons-le, atteint des vitesses supérieures à 100 kilomètres à l'heure. Les marins du Béchar, qui faisaient face à ces bourrasques, nous expliquent encore nos sources, ne pouvaient par faire grand-chose, d'autant que le navire, vide, offrait une bien grande prise au vent, alors que la rapidité de la tempête ne lui a pas permis de lever ses amarres et de faire face aux éléments éoliens et marins déchaînés. La dérive, qui a commencé vers 15 heures, a tragiquement pris fin à la tombée de la nuit. Il semble, en outre, qu'aucune chance n'existe encore pour que les marins, portés disparus à bord du Béchar, soient retrouvés. Dès ce matin, indiquent des sources proches de la direction de la Cnan, les recherches vont commencer afin de trouver les corps et de les remettre à leurs familles. Quant au Batna, outre les remorqueurs dont dispose le port d'Alger, deux autres puissantes unités sont arrivées hier d'Arzew afin que commence, dès ce matin, une opération de remise à flot de ce bateau, devenu une véritable curiosité pour les gens de Ruisseau et d'Hussein Dey, venus même avec leurs enfants, le matin de l'Aïd, pour voir cette «curiosité» jamais produite auparavant depuis l'échouage du Topaz espagnol en 1969 sur les côtes algéroises, nous racontent des «anciens» qui s'en souviennent encore. Le risque est grand, toutefois, pour que ce bateau ne puisse pas être tiré vers le large. Son tirant d'eau ou ligne de flottaison est de dix mètres alors que seuls deux mètres d'eau le recouvraient encore hier, au moment où sa proue était enfoncée dans le sable et où la force du ressac continuait de le faire dangereusement tanguer. Ce niveau d'eau, risque même de diminuer encore une fois que la mer se soit quelque peu calmée. Il faut ajouter à cela, la grave avarie dans la coque de ce navire qui a percuté les vifs rochers dont est peuplée la Sablette. En attendant, les jeunes de Ruisseau transforment en dérision ce véritable drame, en soutenant à qui mieux mieux que ce bateau, venu jusqu'à eux, est une aubaine pour les «haragas».