La ministre de l'Education s'entretenant avec notre journaliste Dans cet entretien, la ministre de l'Education nationale, Nouria Benghebrit, s'est exprimée sur la situation actuelle de son secteur, sur sa stratégie. Elle a mis l'accent sur les axes majeurs pris en considération dans le plan de modernisation du secteur, notamment la gestion des ressources humaines, le processus enseignement-apprentissage et la gestion de la vie scolaire. Elle explique que le défi actuel du système éducatif algérien est celui de la qualité et l'équité. L'Expression: Pour cette rentrée scolaire, on annonce un manque d'infrastructures, une surcharge des classes dans certaines wilayas. On croit savoir que pas moins de 532 établissements n'ont pas été réceptionnés. Comment allez-vous y remédier? Nouria Benghebrit: Les causes du phénomène de surcharge, aujourd'hui, malgré l'exécution d'un important programme d'inscription depuis 2000, sont essentiellement liées à l'ouverture de zones d'habitations urbaines nouvelles (Zhun) engendrant un déplacement massif de population, un retard dans la réalisation des projets, l'engouement pour certaines filières au détriment d'autres filières: par exemple la surcharge concerne plus la filière sciences expérimentales que les filières mathématiques et techniques mathématiques qui fonctionnent avec des effectifs réduits. Le nombre d'élèves dans le cycle primaire connaît cette année une augmentation de près de 200.000 élèves. Malgré ces contraintes, la surcharge touche 844 écoles primaires sur un total de 18 350, soit un taux de 4,59% et 151 CEM sur un parc global de 5 346 établissements d'enseignement moyen, soit 2,82%. Au niveau du cycle secondaire, le secteur ne connaît pas de surcharge si ce n'est dans quelques rares foyers. Les solutions ponctuelles pour faire face à cette situation sont, pour le primaire, la double vacation simple (une division par exemple) ou totale (toutes les divisions) qui sont des réaménagements des horaires des enseignants. Pour le moyen et le secondaire, le secteur a recours aux classes mobiles (les élèves changent de classes). Le secteur de l'Education nationale a pris des mesures palliatives dont la transformation des établissements selon besoin (école en lycée par exemple), l'utilisation d'annexes, salles en extension. Cependant, les capacités d'accueil du secteur seront confortées par 30.280 nouvelles places pédagogiques au niveau du cycle primaire; 63 240 nouvelles places pédagogiques, au niveau du cycle moyen et 95 600 nouvelles places pédagogiques au niveau du cycle secondaire. Il convient de rappeler que le ministère de l'Education nationale prend en charge, en plus des classes dites «normales», des classes multi-niveaux, intégrées, d'adaptation (difficultés d'apprentissage), inclusives et des classes ouvertes en milieu hospitalier. L'Ecole algérienne est malade. Le système éducatif est médiocre. Partagez-vous ce constat? L'évaluation que je fais des acquis de l'Education nationale est plutôt positive au regard du chemin parcouru. Les effectifs globaux des élèves ont été multipliés par 10 depuis l'indépendance, passant de 813 613 élèves en 1962 à 8 451 370 élèves cette année, ce qui signifie que le quart de la population algérienne actuelle est à l'école, ce qui ne peut, objectivement, nous laisser indifférents. L'examen des indicateurs d'accès à l'enseignement primaire montre une quasi-généralisation de l'accès atteinte depuis plusieurs années aussi bien pour les filles que pour les garçons. Les taux nets de scolarisation au primaire ont dépassé le seuil des 95% depuis près d'une décennie. L'Algérie compte aujourd'hui plus de 400.000 enseignants tous cycles confondus, ce qui représente un effectif 17 fois supérieur à celui enregistré en 1962 puisque nous comptions alors 23 612 enseignants. L'évolution n'est pas seulement quantitative mais également qualitative puisque le corps enseignant est constitué dans sa globalité de diplômés de l'université. Par ailleurs, les différents plans de lutte contre l'analphabétisme ont donné des résultats probants au regard de la situation héritée de l'ère coloniale. Le taux d'analphabétisme a reculé pour atteindre les 15% en 2014 alors qu'il était estimé à 85% en 1962. Le nombre d'infrastructures pédagogiques a connu, lui aussi, un accroissement considérable à la faveur de la politique tracée par l'Algérie en matière de scolarisation; une politique planifiée qui assure un équilibre entre les différentes régions du pays, notamment les zones enclavées. Le nombre des infrastructures pédagogiques a été multiplié par 10 depuis l'indépendance, passant de 2666 en 1962 à plus de 25.000 aujourd'hui. Et à tout cela, il faudrait ajouter toutes les mesures de soutien à la scolarité, je pense aux cantines scolaires, aux bourses scolaires dans les cycles moyen et secondaire, la prime de scolarité, instituée par Son Excellence Monsieur le président de la République, la gratuité du manuel scolaire à plus de 4 millions d'élèves, la gratuité des fournitures scolaires aux élèves issus des familles démunies, la santé scolaire, le transport scolaire. Depuis 20 ans, on a livré l'école aux tiraillements idéologiques et on a fait de nos élèves des cobayes. Oserez-vous proposer une vraie réforme avec un projet de société moderniste qui mettra cette école sur l'orbite des conquêtes scientifiques ? Il n'est pas exagéré de dire que les univers éducationnels dans le monde sont entrés dans une phase de bouleversement. Le système éducatif algérien vit une crise de croissance où il s'agit de passer d'un investissement de type quantitatif où il était question d'assurer la scolarisation de tous les enfants algériens par la massification, à un redéploiement qualitatif. Au niveau de la gouvernance, la feuille de route du ministère de l'Education nationale consiste, principalement, à poursuivre les actions de modernisation de la gestion pédagogique et administrative de l'institution éducative, adopter la démarche de projet à tous les niveaux comme modalité de mise en oeuvre de la politique éducative, proposer une charte d'éthique consensuelle. Au niveau de la refonte pédagogique, l'action du ministère de l'Education nationale porte, essentiellement, sur l'amélioration des pratiques de classe, sur la généralisation de l'éducation préscolaire, notamment au sud du pays, la réécriture des programmes d'enseignement, la rationalisation et l'optimisation de la gestion du temps scolaire en appliquant au moins 32 semaines d'activité effective d'enseignement, la poursuite de la promotion des filières mathématiques et technique mathématique et l'amélioration de la qualité des apprentissages et des acquis des élèves, notamment dans les langages fondamentaux. Mais, il est tout à fait clair que l'amélioration du niveau des apprenants ne saurait être possible sans une formation de qualité des personnels du secteur particulièrement, les enseignants et des encadreurs pédagogiques. La formation des personnels doit permettre à chacun de remplir ses missions et d'exercer son métier dans les meilleures conditions, mais également de développer ses compétences. A ce titre, le ministère de l'Education nationale a mis en place un vaste et ambitieux programme de formation à l'adresse de toutes les catégories de personnels de l'éducation mais surtout des enseignants dont 67,47% ont moins de 45 ans. Des parents d'élèves déçus par l'école publique, soucieux de l'avenir de leurs enfants, s'en remettent aux écoles privées à leurs risques et périls. Que prévoyez-vous comme mesure de normalisation de ces écoles? Pour prendre la mesure de la part du privé dans le secteur de l'éducation, permettez-moi de vous livrer quelques chiffres. Le nombre d'établissements privés d'enseignement est estimé à 292 établissements, soit un taux de 1,12%, par rapport au nombre d'établissements scolaires publics. Répartis sur 22 wilayas, ces établissements accueillent 59.214 élèves. Quand on sait que le nombre d'élèves scolarisés dans le public est estimé à 8.112.475, on comprend très vite que le taux d'élèves qui fréquentent les établissements privés est infime, comparé à celui des établissements publics. Ceci étant dit, nous encourageons le secteur privé à investir dans le secteur de l'éducation. Toutes les initiatives à même de multiplier les chances de scolarisation de nos enfants, sont les bienvenues. La diversification de l'offre éducative peut être considérée comme une valeur ajoutée à charge pour nous, ministère de l'Education nationale, d'assurer le suivi et le contrôle nécessaires. Une commission travaille sur l'amélioration des cahiers des charges. Le dialogue avec les syndicats et les parents d'élèves a jusque-là donné ses fruits. Une rentrée sans encombre. Mais des parents d'élèves et certains syndicats revendiquent, par exemple, une 2ème session au bac. Pourquoi pas? L'un des ateliers de la Conférence nationale sur l'évaluation de la mise en oeuvre de la réforme de l'école, tenue, au Palais des Nations, les 25 et 26 juillet, et à laquelle ont pris part plus de 1000 participants dont les partenaires sociaux, a été consacré à la question de la réorganisation des examens nationaux. Concernant l'examen du baccalauréat, les participants à cet atelier ont proposé diverses possibilités. Il est vrai que l'organisation de l'examen du baccalauréat telle qu'elle est conçue, actuellement, gagnerait à être révisée. Néanmoins, la prise en compte des recommandations portant sur des volets engageant l'avenir du pays, telles que la refonte des examens officiels (5ème, BEM, bac), relèvent à la fois d'un niveau de compétence scientifique et technique qui est le travail des experts et d'un processus institutionnel, qui, lui, porte, comme l'a si bien dit monsieur le Premier ministre à Constantine, sur un examen minutieux de chaque proposition, en termes de pertinence, de contexte, de moyens et d'impact sur le plan quantitatif, qualitatif (résultats attendus) et financier. Aussi, nous présenterons, très prochainement, au gouvernement, un dossier exhaustif comprenant les propositions retenues en matière d'organisation des examens nationaux dont bien sûr le baccalauréat. Qu'en est-il de l'enseignement des langues étrangères? Le monolinguisme ne peut contribuer au développement du pays. Il ne permet ni l'ouverture sur le monde ni l'accès aux savoirs et aux connaissances scientifiques élaborées ailleurs, empêchant ainsi l'établissement d'un dialogue fécond avec les autres cultures et civilisations. Aussi, dans le cadre de la refonte pédagogique, nous oeuvrons pour l'amélioration de la prise en charge des langues étrangères, considérées comme l'une des compétences fondamentales que doit maîtriser l'apprenant ainsi que pour le renforcement de la couverture de la 3ème langue vivante au niveau de la filière langues étrangères (cycle secondaire). Des experts ont proposé l'utilisation des langues maternelles dans les premières classes du primaire. Une recommandation accueillie par une salve d'attaques vous visant personnellement. Qu'avez-vous à répondre? En tant qu'institution éducative, nous nous devons de veiller à deux dispositions: la conformité et le respect. La conformité des décisions à prendre par rapport à un cadre référentiel national, celui de la Constitution, d'abord et ensuite, celui de la loi d'orientation sur l'Education nationale et à des structures de validation officielle qu'est le Conseil des ministres. En dépit des démentis officiels et des explications - témoignages apportés par des participants à la conférence nationale sur l'évaluation de la mise en oeuvre de la réforme de l'école qui s'est déroulé au Palais des Nations les 25 et 26 juillet 2015, regroupant plus de 1000 présents au titre de 42 catégories sociales: cadres de l'Etat, professionnels de l'éducation, universitaires, représentants syndicaux et associatifs, écrivains, journalistes...il est regrettable de constater que certains continuent à produire des discours générant le doute et la suspicion, sur la base d'extrapolations qui n'ont rien à voir avec le contenu réel d'une recommandation issue des travaux d'un atelier de ladite conférence. Conformément à la loi d'orientation sur l'éducation 08-04 et aux autres textes officiels de référence nationale, la langue arabe est la langue des enseignements et des apprentissages et, à aucun niveau, il n'y a eu remise en cause de ce principe. Quant aux interactions des langues et des disciplines en contexte scolaire, leurs enseignements / apprentissage relèvent d'un niveau de scientificité et de technicité adossé à des domaines de connaissance et de spécialités de recherche, en Algérie, au Maghreb, dans le Monde arabe et le monde entier, que sont la didactique des disciplines, les sciences du langage, les sciences de la cognition, les sciences de l'éducation, la pédagogie... Et le débat engagé à ce niveau révèle la vivacité de la recherche. Comment stopper la violence qui sévit dans les écoles? Je préfère parler de violence tout court. Pourquoi stigmatiser l'école alors qu'on entend chaque jour parler d'actes de violence, dans les quartiers, dans la rue, dans la famille...Ce phénomène a pris de telles proportions, qu'il devient inquiétant. Lutter contre cette violence exige l'intervention de tous et à tous les niveaux, à commencer par la cellule familiale. Le ministère de l'Education nationale, conscient de la gravité et de l'ampleur de l'usage de la violence en milieu scolaire, a engagé un certain nombre de dispositions et d'actions. Ainsi, bon nombre de mesures ont été prises pour prévenir ce phénomène, notamment l'interdiction, par des dispositions législatives et réglementaires, des châtiments corporels ainsi que des insultes, brimades, humiliations et prise de sanctions administratives, pouvant aller jusqu'à la radiation, à l'encontre de tous contrevenants à cette interdiction et qui peuvent même faire l'objet de poursuites judiciaires. Je peux vous dire que dès l'année 2000, le MEN avait initié une enquête exhaustive au niveau de tous les établissements scolaires pour cerner les contours du phénomène. Successivement, en 2008 et en 2013, des études conjointes avec l'Unicef et le Cread (39.000 élèves de 15 à 18 ans ont été concernés) ont été réalisées sur le phénomène. Le 7/12/2013, une réunion au niveau central a été organisée pour délivrer les conclusions des différentes études.