L'artiste donne à voir un nous pluriel décliné par autant de regards que de sentiments... «L'oeil, vision de l'âme». C'est à partir de cette phrase connue que l'artiste Amor Driss Lamine Dokman a décidé de mettre une pause réflexive et interroger le «nous» et la société. Après sa flamboyante et aérienne exposition Ça danse partout !, l'artiste peintre qui s'inscrit résolument dans son temps, en ce qu'il a de plus moderne, original et surprenant dans son art, laisse «voir» à travers sa nouvelle exposition, une démarche picturale tout aussi contemporaine, révélatrice du tempérament «observateur» de son auteur. Regards multiples est l'intitulé de son exposition fraîchement installée à l'hôtel Sofitel et ce, jusqu'au 1er décembre. Le regard perçant, magnétique, Amor Driss a mis un malin plaisir à traduire sur carton les multiples expressions et regards que l'homme parvient à communiquer par le seul organe qu'est l'oeil. Aidé parfois par les grimaces de la bouche qui renforce le sentiment d'une personne. «J'ai commencé à dessiner très tôt vers 6 ou 9 ans. Je peignais les yeux car j'étais amoureux de ma maîtresse», se rappelle Amor dans un élan de sympathie flanqué d'un sourire enjôleur. Le regard de l'artiste lui-même en dit long sur sa tendre sensibilité. Et d'ajouter: «Souvent on remarque les gens que si on a envie de les connaître, on regarde les yeux, à partir de là c'est toute une philosophie qui s'en dégage». On se tait, et on laisse les yeux parler...C'est sur du papier Canson, employant la technique mixte, sur toile, sur carton ou simplement sur papier que l'artiste peintre a laissé libre cours à son imagination. Un travail «cru» dénué d'artifice. L'artiste a préféré, en effet, donner à voir une image sans le maquillage de l'encadrement. Et c'est une variante multiple (220) d'un seul thème (l'oeil) qui est déclinée sous différentes expressions ou impressions. Son regard en appelle d'autres. Une multiplicité de regards, le nôtre. Le «nous» en ce qu'il a de pluriel. Autant de regards que de sentiments. Regard vide, énervé, optimiste, éploré, peiné ou encore amoureux, vicieux, mélancolique, factice, pourvu d'un «masque», regard du désir, «enflammé», souriant ou évanescent... Le regard multiplié interpelle notre conscience car à chaque fois qu'on regardera ces petits cartons de couleurs chatoyantes, nous penserons à notre regard. Et ce dernier de s'illuminer. Preuve s'il en est que l'artiste a gagné le défi conscient ou pas de faire partager ses émotions, une tendresse, un geste juste transposé sur une toile et voilà qui fait naître une réaction, une attitude, un mouvement de pensée avant qu'il ne soit de l'oeil. Et pour compléter le tableau, l'artiste qui se plaît à laisser des traces, une empreinte - cette fois, non seulement picturale - un tantinet provocateur, un rien agitateur - placé à côté de sa nouvelle galerie de «regards», un tableau de l'ancienne exposition. Un «clin d'oeil» pour renforcer une démarche déjà forte en sémiologie. Avant l'entrée en scène, un tableau représentant une danseuse nue ne peut qu'interpeller les regards au-delà de l'esthétisme apparent. Choix délibéré qui interroge nos sentiments en levant le voile... Avec son regard développé, intelligent qui comprend et ressent les choses, Amor Driss Dokman est parvenu finalement à peindre le monde, l'être, son chaos et ses espoirs. Par de là sa carapace extérieure, son physique, il nous est raconté l'homme, son esprit, son intériorité, son coeur, sa force et sa fragilité. Cette mosaïque de regards fragmentés, déliés sur la toile, renseigne sur la complexité naturelle des sentiments. Poète, le peintre l'est aussi... Il suffit de bien regarder. En tout cas, l'exposition, elle, vaut le coup «d'oeil». Lors de sa prochaine exposition, Amor Driss Dokman abordera, en compagnie de Arezki Larbi, le thème de l'arbre.