«Les différences physiques et de couleur de peau, si variées qu'elles sont incatégorisables, dénotent la diversité culturelle de cet ensemble que l'on dénomme nation française.» Je ne sais pas s'il faut accorder, ne serait-ce que la moindre importance, au dérapage de trop de Nadine Morano. En refusant de revenir sur ses propos controversés sur la France pays de «race blanche», elle a plongé inexorablement la société politique française dans une gêne sans précédent. Y compris au niveau de sa famille «républicaine» qui n'avait nullement besoin de ce nouveau scandale, à plus forte raison en cette veille de campagne pour les élections régionales de décembre prochain. S'il est vrai que pour un flirt assidu avec le FN, elle ferait n'importe quoi, et elle en a les capacités, il reste certain que son «énorme maladresse» traduit, on ne peut mieux, la nature de classe de son parti qui n'en est pas à ses premiers écarts de conduite. Le manque d'habilité et de savoir-faire de son saltimbanque de président, s'agissant des relations algéro-françaises, en est une parfaite illustration. Nicolas Sarkozy a beau proposer l'éviction de cette députée européenne de l'investiture en Meurthe et Moselle mais personne n'est dupe pour autant. «Trop, c'est trop», s'est-il écrié, après cet énième clin d'oeil de l'ancienne ministre à l'électorat du Front national sur le plateau de Laurent Ruquier. Nous écrivions, il n'y a pas si longtemps qu'aujourd'hui la France est porteuse d'une formidable richesse multiculturelle. Encore faut-il que cette réalité, cette complexité sociale à fort potentiel, soit acceptée, valorisée, célébrée. Des nations ont su faire de cette diversité un atout. La France en est-elle capable? Assurément non, répondrait le commun des mortels particulièrement choqué par les grotesques déhanchements de cette danseuse du ventre à l'effet de séduire l'électorat lepéniste. En cela, elle demeure fidèle à l'entretien accordé à Minute, l'hebdomadaire de l'extrême droite: «J'entends ce que me disent les électeurs du FN, notamment en milieu rural où ils sont attachés au respect de nos traditions, à notre culture, à notre identité nationale.» Le penseur libanais Karim Emile Bitar n'a pas manqué d'attirer l'attention sur de tels dérapages qui sont loin d'être fortuits, le fruit d'une colère passagère. Force est de le constater, écrira-t-il, toutes les idées de progrès, toutes les idées de l'humanisme libéral et social ont pris du plomb dans l'aile: «Triomphent aujourd'hui à l'échelle mondiale les courants de pensée les plus régressifs, les plus hostiles à la modernité et à l'universalisme. En Orient comme en Occident, l'heure est aux crispations, aux angoisses, aux replis identitaires, à l'essentialisme et à la peur de l'autre.» Sérieusement ébranlées par la crise plurielle, les classes moyennes et populaires européennes en arrivent jusqu'à perdre leurs repères. C'est sur ce terreau fertile que peuvent prospérer toutes les grilles de lecture voulant offrir des explications holistiques, que peuvent s'affirmer toutes les théories déclinistes, toutes les recherches de boucs émissaires. N'en déplaise à Nadine Morano et à son président, le peuple français est en mesure de relever le défi. D'autres voix se font entendre à l'image de celle d'Ayoko Mensah et de sa publication Afriscope: «Nous ne voulons plus avoir à justifier le caractère multiculturel de notre société mais l'affirmer, le documenter tout en engageant un combat qui paraissait plus ambitieux contre la violence des discriminations: création en 2004 de la Halde, mise en place des Chartes de la diversité, nomination d'un Commissaire à la diversité et l'égalité des chances. Pourtant en 2015, nous, avec Afriscope, devons sans cesse justifier ce terme diversité inscrit dans notre ADN éditorial. Nous-mêmes peinons parfois à le définir et le défendre.» Comment nier qu'il soit aujourd'hui le véhicule d'une politique de stigmatisation et d'assignation? Qu'il n'ait pas été à la hauteur des enjeux sur les discriminations raciales? Que politiquement et médiatiquement la France se pense toujours blanche et chrétienne ou athée? Que cela a des répercussions diffuses et pernicieuses sur l'ensemble de la société et menace directement les dynamiques interculturelles bouillonnantes sur le terrain? «Sûrement pas lorsque nous nous entendons dire, en 2015, par des partenaires publics de longue date d'Afriscope - Vous ne vous adressez pas assez aux Français -. Comment en sommes-nous arrivés là? Pour Afriscope, «l'enjeu de notre travail critique est bien de sortir de l'assignation identitaire de ces expressions artistiques à la notion d'étranger. C'est la racialisation qui fonde la subalternité des Noirs invisibilisés et des Arabes stigmatisés, et c'est elle qui rend centrale la question culturelle. Les différences physiques et de couleur de peau, si variées qu'elles sont incatégorisables, dénotent la diversité culturelle de cet ensemble que l'on dénomme nation française. Si identité il y a, c'est bien dans la prise en compte de cette diversité, dans toutes ses dimensions et notamment historique, c'est-à-dire aussi dans le récit national français. Il n'y a ni intrusion, ni effraction, ni invasion: il y a uniquement une Histoire commune.» [email protected]