Des révélations fracassantes mettent à nu la vulnérabilité du système de protection du patrimoine national. Avec une aisance déconcertante, rendue possible entre autres grâce à une «complicité» locale accrue, un vaste réseau allemand servant au trafic de pièces archéologiques, doté, de surcroît, de moyens ultramodernes, s'adonne, en effet, depuis plusieurs années, à un pillage à grande échelle dans l'Extrême Sud causant d'incalculables préjudices au système archéologique de la région. L'affaire des cinq pillards germaniques, arrêtés en possession de 130 objets de grande valeur, volés du Parc national du Tassili - site classé patrimoine universel en 1982 par l'Unesco - samedi dernier, est à la fois l'arbre qui cache la forêt et la goutte qui a fait déborder le vase. L'information, voire le scandale, a été révélé, hier, lors d'une conférence de presse animée à Alger, par les cadres du ministère de la Culture et les responsables de la protection du patrimoine en la présence particulière de la ministre, Khalida Toumi. Le Dr Malika Hachid, chercheur en archéologie, en sait des choses. Pour avoir été dans le passé directrice de l'Office national du patrimoine du Tassili, elle indique, qu'après une investigation qu'elle a personnellement menée, que tous les objets volés et transités sans que les pilleurs ne soient inquiétés, sont proposés à la vente via Internet par des sites allemands, à des prix, bien entendu, exorbitants. Les trafiquants germaniques, n'en sont pas d'après cette dernière, à leur premier acte du moment, ajoute Hocine Ombese, l'actuel directeur du Parc national du Tassili - la destruction du patrimoine se poursuit sans que personne daigne lever le petit doigt - transitent régulièrement par la frontière algéro-tunisienne, depuis les années quatre-vingt-dix, à ce jour. Pour arriver sur les lieux où sont situées les richesses archéologiques - dont l'accès néanmoins est pratiquement impossible - des dunes, terres sèches sans eau, sans l'aide d'un guide comme la région de Tadrart, ces derniers bénéficieraient de «complicités» locales. Mais une fois arrivés à l'endroit voulu, les pillards, munis de GPS, appareils de positionnement par satellite, procèdent, progressivement, à l'installation, à travers toute la région, des points de liaison leur permettant ainsi d'avoir l'oeil sur toutes les régions prescrites. Selon le conférencier, plus de 3000 points de GPS ont été mis en place entre 1994 et 1997. Le risque de perdition est réduit à néant au même titre que le besoin en guides. Le pillage se fera, donc, sans aucune inquiétude. Le pire est que l'introduction du GPS a été formellement interdite par un arrêté signé par l'état-major de l'ANP, le ministère de l'Intérieur et celui des Télécommunications et des Technologies de l'information. A ce propos, Mme. Hachid pousse plus loin sa réflexion quant à la présence dans ces lieux désertiques, des touristes allemands enlevés en mars 2003 par le groupe terroriste du Gspc commandé par le tristement célèbre Abderrezak El Para- actuellement entre les mains des services de sécurité-. La capture, samedi dernier, des cinq autres Allemands accrédite également les accusations de l'oratrice. M.Ombese, indique, lui, que l'accès au Parc du Tassili qui se fait régulièrement via trois routes, est tributaire d'une autorisation accordée par les services de son organisme. Chose qui n'a pas été faite selon lui par les cinq pilleurs allemands arrêtés samedi dernier. Acculés par les questions des journalistes, sur l'affaire de Frobenus les représentants du ministère de la Culture ont fini par jeter un véritable pavé dans la mare. Frobenus, est un institut de recherche allemand qui avait, en 1992, signé une convention sur la recherche archéologique avec le Centre national des recherches anthropologiques et préhistoriques (Crap) et l'Onpt. Bénéficiant de la complicité de nombre de chercheurs algériens, les responsables Frobenus, ont procédé à une véritable razzia sur les richesses, notamment les squelettes, dont l'origine remonte aux périodes néolithique et paléolithique, pour exporter ces mêmes ossements dans des sacs, à l'étranger sous les yeux «complices», affirment les cadres des services des «douanes» aussi bien nationaux qu'étrangers. «Je me demande comment ces derniers ont pu faire passer toute cette matière», s'interroge Mme Hachid aux yeux de qui seule l'autorisation du ministre de la Culture permet une telle opération. Ce qui n'as pas été le cas jusqu'ici. Le directeur de l'Onpt affirme, pour sa part, avoir mis la main sur des documents attestant du pillage par les chercheurs de Frobenus en 2000. Il indique avoir alerté son supérieur sur les dangers qu'engendre une telle entreprise, mais que ce dernier avait opposé une fin de non-recevoir. Pis, il l'a même menacé de licenciement sous le «fallacieux» prétexte de la relance de l'activité touristique dans la région. Et pour enfoncer le clou, ce dernier déclare que Frobenus a eu droit à une autorisation de fouilles archéologiques dans le Parc du Tassili par un institut national qui n'a pas été signataire de la convention initiale. Autre infraction: les chercheurs allemands ont associé à leurs travaux d'autres scientifiques du Cnrs français, alors que ceux-ci y sont complètement étrangers. La gendarmerie, saisie de cette affaire, avait, à l'époque, ouvert une enquête sur le pillage «légal» de Frobenus, mais curieusement, aucune suite n'a été donnée à ce jour. L'ancienne directrice du Parc du Tassili, pour expliquer l'ampleur de ce phénomène qui nuit gravement à l'histoire et à l'identité nationale, si elle se félicite d'un côté de la collaboration des agents de l'Onpt avec les différents corps des services de sécurité (ANP, Gendarmerie nationale, Police) déplore par ailleurs, le manque criant de coordination avec les autres secteurs tels le ministère du Tourisme, de l'Environnement, etc. «Je lance un appel au Président de la République pour qu'il daigne sauver notre patrimoine et notre identité d'une destruction certaine», tempête Mme Hachid.