La décision que prendra aujourd'hui la Haute Cour ukrainienne déterminera sans doute la suite des événements à Kiev. Le scénario qui a bouleversé, ces dernières années, la vie dans de nombreuses Républiques ex-soviétiques et d'Europe de l'Est s'est reproduit en Ukraine, le plus grand pays, après la Fédération de Russie, de l'ex-Union soviétique. Ainsi, l'Ukraine est, à son tour, atteinte du virus du changement et de la démocratisation. Démocratisation qui tardait à se concrétiser quinze années après la séparation avec l'ex-Urss, alors que le poids de Moscou demeurait prépondérant. De fait, le bras de fer engagé entre le candidat du pouvoir, soutenu par Moscou, l'ancien Premier ministre Victor Ianoukovitch, et celui de l'opposition, Victor Iouchtchenko, qui ne cache pas ses préférences pro-occidentales, oppose deux conceptions diamétralement opposées du pouvoir. Autant M.Ianoukovitch veut renforcer l'alliance de Kiev avec Moscou, autant M.Iouchtchenko souhaite arrimer l'Ukraine à l'Europe, et pourquoi pas postuler à une adhésion future à l'Union européenne. Dès lors, l'enjeu de cette élection présidentielle dépasse la seule personnalité des deux protagonistes de la crise ukrainienne et engage le devenir politique de l'Ukraine en tant qu'Etat de droit et Etat souverain. Que Moscou délègue le président de la Douma (chambre basse du Parlement), Boris Gryzlov, à Kiev, que l'Union européenne dépêche de son côté dans la capitale ukrainienne son haut représentant pour la politique étrangère, Javier Solana, n'est guère fortuit et participe au jeu de coulisses et des pressions -de la Russie et de l'Union européenne- pour influer sur les évènements quand Moscou tente de conserver cet important Etat dans son giron alors que Bruxelles essaie d'aider à la «désoviétisation» des ex-Républiques socialistes soviétiques. Ce qui illustre l'importance de la crise ukrainienne qui dès lors dépasse la seule Ukraine et intéresse directement ses voisins et partenaires russes et européens. A Kiev, les manifestations de masse rappellent celles ayant fait chuter les pouvoirs autocratiques à Bucarest, à Varsovie ou tout récemment, l'an dernier, à Tbilissi avec la chute de l'un des derniers dinosaures de l'ère soviétique, Edouard Chevardnadze. La problématique à Kiev est légèrement différente car il ne s'agit pas de déboulonner un cacique de l'ancien pouvoir communiste, mais bien de réhabiliter les mécanismes de prise de pouvoir par l'élimination de la fraude qui empêche l'alternance et partant, maintient au pouvoir des personnes qui, autrement, n'auraient sans doute pas accédé au faîte de l'Etat. Ce qu'affirment les opposants qui indiquent. «Si nous pouvons arrêter les fraudes et les pressions exercées sur le peuple, (....) Victor Ioucht-La composition du Conseil serait alors de 11 membres permanents plus 13 non permanentschenko gagnera». En fait, les opposants ont la certitude que s'il n'y avait pas de manipulations le peuple choisirait sans aucun doute le candidat démocrate. De fait, la permanence des manifestants, qui occupent sans discontinuer, depuis mercredi, la place de l'Indépendance à Kiev, est indicative de la détermination de l'opposition à ne pas céder et à aller loin pour que la présidence de l'Ukraine échoie à quelqu'un choisi par la seule volonté du peuple. L'un des leaders de la coalition libérale «Notre Ukraine», Petro Porochenko, estime pour sa part qu'«un événement historique a eu lieu dans la vie politique ukrainienne (...) La situation a basculé non seulement dans la rue et dans les régions, mais aussi au Parlement», affirmant: «Le pouvoir n'a aucune chance». En effet, dans une session extraordinaire, le Parlement (dont les députés émanaient majoritairement du pouvoir en place) s'est prononcé samedi pour l'invalidation du scrutin du 21 novembre et proposé l'annulation du résultat de l'élection présidentielle controversée de même que la dissolution de la Commission électorale, soupçonnée de parti pris. Toutefois, la décision du Parlement n'est pas contraignante et reste indicative de la voie à suivre pour sortir l'Ukraine de la crise où elle est engagée. De fait, c'est la réunion aujourd'hui de la Cour suprême, qui va statuer sur la plainte de l'opposition - qui accuse le pouvoir d'avoir massivement fraudé pour aider son candidat à remporter les élections - et de la décision qu'elle sera amenée à prendre sur ce contentieux qui déterminera les suites d'une crise qui met à mal les institutions du pays. Alors que M.Ianoukovitch s'est auto-proclamé vainqueur du scrutin, l'opposition sûre d'avoir gagné les élections du deuxième tour des présidentielles du 21 novembre, estime que la Cour suprême n'a que deux voies de sortie, à l'issue desquelles, de toutes les manières, son candidat, M.Iouchtchenko, en sera le vainqueur. Un des leaders de l'opposition, Mme Ioulia Timochenko, appelant les manifestants à se rendre nombreux devant la Cour suprême, «pour donner aux juges la force de prendre une décision juste» a indiqué: «Nous avons deux voies, mais il n'y a qu'un seul dénouement possible» (...) «La première voie: la Cour suprême décide de nous accorder la victoire du second tour du 21 novembre. La deuxième voie est plus longue : après des pourparlers et une nouvelle élection, Victor Iouchtchenko l'emporte tout de même» a-t-elle affirmé. Après épuisement de toutes les voies pour trouver une issue à la crise, la balle est chez la Cour suprême de la décision de laquelle va dépendre le contour que prendra la crise politique en Ukraine.