Sergueï Lavrov va-t-il convaincre John Kerry? MM.Kerry et Lavrov qui entretiennent des contacts remarquables par leur fréquence et surtout leur cordialité n'hésitent pas à afficher une certaine complicité... Les chefs des diplomaties américaine, saoudienne, turque et russe ont entamé hier à Vienne des pourparlers inédits pour chercher une sortie de crise en Syrie, même si le trio Washington-Riyadh-Ankara, ennemi patenté du régime de Bachar al Assad, s'oppose à la Russie qui demeure malgré tout son fidèle allié. La capitale autrichienne a servi de théâtre, durant toute la journée, à un ballet diplomatique entre le secrétaire d'Etat américain John Kerry, le ministre des Affaires étrangères russe Sergueï Lavrov, et leurs homologues saoudien Adel al-Jubeir et turc Feridun Sinirlioglu. Le point d'orgue aura été, en début d'après-midi, une réunion quadripartite entièrement consacrée au conflit syrien, une première diplomatique et le signe de l'internationalisation d'une guerre civile qui a fait plus de 250.000 morts depuis mars 2011. Dans la matinée, les alliés de la coalition internationale Etats-Unis-Arabie saoudite-Turquie se sont entretenus à l'intérieur d'un palace viennois sans pour autant indiquer la teneur de leurs discussions devant la presse. MM.Kerry et Lavrov se sont ensuite retrouvés dans le même hôtel pour une nouvelle entrevue. Les deux ministres qui entretiennent des contacts remarquables par leur fréquence et surtout leur cordialité n'hésitent pas, en maintes occasions, à afficher une certaine complicité grâce à laquelle ils parviennent, depuis des années, à apaiser les tensions entre leurs gouvernements réciproques. Hier, ils ont opté pour un silence commun devant les caméras, preuve que les pourparlers n'en sont qu'à leur début, l'initiative du président Vladimir Poutine qui a reçu voici quelques jours au Kremlin le président Bachar al Assad, pour sa première sortie officielle de Syrie depuis 2011, mettant en oeuvre un plan de règlement de la crise auquel il convient d'assurer un temps de maturation. Dans ce cadre, il est prévu que Sergueï Lavrov rencontre également ses homologues des pays de la région, en particulier la Turquie et l'Arabie saoudite pour dissiper les approches antagonistes sur le dossier syrien. Les Américains et leurs alliés mènent une coalition internationale contre le groupe Etat islamique (EI) tout en apportant leur soutien à des groupes islamistes rebelles au régime de Damas. En face, la Russie, alliée du président Bachar al-Assad, a engagé depuis trois semaines une campagne de bombardements aériens contre Daesh et des groupes terroristes, en dépit de vives critiques de Washington et de ses alliés qui l'accusent de viser les groupes hostiles au chef de l'Etat syrien. Avant de dépêcher M.Lavrov à Vienne, le président russe Vladimir Poutine a rappelé jeudi que ́ ́l'objectif des Etats-Unis était de se débarrasser d'Assad ́ ́, fustigeant au passage le double jeu des Occidentaux qui prétendent lutter contre le terrorisme alors qu'ils le confortent en larguant des armes destinées aux rebelles. Le chef du Kremlin a ainsi soutenu que son «but est de vaincre le terrorisme (...) et d'aider le président Assad à revendiquer la victoire contre le terrorisme». La stratégie de Poutine consiste à faire place nette pour permettre la tenue d'un «processus politique» au cours duquel les conditions objectives d'une négociation sur le devenir de la Syrie seront clairement respectées. C'est en tout cas ce qu'a engagé le président russe qui souhaite, une fois éradiquée la menace des groupes terroristes sur la scène intérieure de la Syrie, réunir les pays de la région pour dialoguer et parvenir à un consensus politique permettant à la Syrie d'avoir un régime de nature à contenter l'ensemble des composantes de la nation.Autant dire que la tâche est ardue, les raisons de la Turquie n'étant pas celles de l'Arabie saoudite et tutti quanti. Mais Vladimir Poutine compte sur la donne induite par l'appui diplomatique inconditionnel de la Russie à la Syrie, appui qui se double de livraisons importantes d'équipements de défense et, depuis le 30 septembre, de plus de 800 frappes contre toutes les bases terroristes. S'y ajoute également l'absence de «résultats tangibles» des dizaines de milliers de bombardements que mène la coalition internationale depuis plusieurs années. Cette critique a infléchi, entre autres arguments, l'attitude américaine, Washington admettant du bout des lèvres un calendrier négociable pour le retrait du président Bachar al Assad, contrairement à ses alliés européens qui continuent à en faire une condition sine qua non. Un revirement partagé par l'Arabie saoudite et par la Turquie qui admettent désormais la mise en oeuvre d'un processus de transition avec Bachar al Assad, unepremière pour ces ennemis jurés du chef d'Etat syrien. Reste l'Iran, un soutien puissant et indéfectible du régime Al Assad. Absent hier à Vienne, il imposera son ombre sur toutes les tentatives de négociations, même s'il a lui aussi infléchi sa position en se disant favorable à une «solution politique».