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La dernière vérité d'un vieux professeur
ECOLE NATIONALE SUPERIEURE D'AGRONOMIE D'EL HARRACH
Publié dans L'Expression le 11 - 11 - 2015

«La destruction du Jardin botanique d'une manière ou d'une autre aura de graves répercussions sur la formation de nos étudiants et probablement sur celle des générations futures. Actuellement, les étudiants réalisent des travaux pratiques et des recherches sur ce milieu sain, non perturbé. Y a-t-il à l'Ensa un autre endroit aussi sain? Non, partout des pesticides, notamment herbicides et fongicides, ont été utilisés. Pour nous, ce Jardin botanique est un laboratoire à ciel ouvert qu'on veut nous prendre. Je ne sais pas ce qui me retient pour crier «AU SECOURS» sauvez la biodiversité et ce laboratoire à ciel ouvert».
Dans le domaine de la pédagogie et de la recherche, ce Jardin botanique fait en effet, partie des droits des étudiants. C'est dans cet écosystème qu'ils suivent des travaux pratiques dans le cadre des modules d'ornithologie appliquée et d'arthropodologie du sol et qu'ils conduisent différents travaux de recherche et d'observation: étude du régime alimentaire, notamment de l'avifaune et de l'entomofaune de 1993 à 2000; observations de consommation de fruits par les oiseaux sur Phillyrea angustifolia (filaire à feuilles étroites), Laurus nobilis (laurier noble) et Rhamnus alaternus (l'alaterne) conduites entre 2000 et 2005, de pollinisation de fleurs par des insectes pollinisateurs, à l'instar de celles qui furent réalisées entre 2009 et 2014, etc...
Avant que ne s'organise la contestation des enseignants chercheurs et étudiants engagés dans la sauvegarde du patrimoine de l'Ensa, les engins de l'entreprise Cosider ont eu le temps de détruire une partie de l'écosystème où des travaux d'étudiants sont en cours de réalisation. Le mal est déjà fait. Il faut arrêter ce massacre.
Les eucalyptus tels que ceux du Jardin botanique de l'Ensa sont particulièrement sensibles aux attaques du coléoptère longicorne Phoracantha semipunctata, lorsqu'ils se trouvent physiologiquement perturbés. Ils n'ont donc aucune chance de survie si on cherche à les déplacer, tout comme les autres espèces arboricoles et arbustives qui seraient menacées par d'autres espèces de «parasites de faiblesse» comme les coléoptères Scolytides. En effet, les arbres arrachés à leur milieu deviennent faibles. Il a été démontré par de nombreux scientifiques que les plantes, qu'elles soient herbacées, arbustives ou arborescentes émettent un spectre d'odeurs caractéristiques composé notamment de plusieurs alcools et terpènes. Lorsque le spectre d'odeurs est anormal parce qu'il est émis par un arbre mis en situation de faiblesse, des insectes nuisibles sont attirés et s'attaquent à la plante affaiblie par la transplantation.
L'exemple des Ficus retusa enlevés de la rue Tripoli nous interpelle très fortement. Ils ont été replantés sur les côtés de la route de Zéralda et ont dépéri en grande partie. Il faut regarder de près entre l'écorce et l'aubier pour comprendre les causes de cette mortalité. Des insectes ravageurs appelés aussi «parasites de faiblesse» s'installent sur le tronc et les branches charpentières en traversant l'écorce des arbres affaiblis.
Ce projet d'installation de baraques de chantier que l'on prétend réussir en délocalisant les arbres ou en les faisant vivre dans un environnement qui les fragiliserait est tout simplement une atteinte à la rationalité, car ce sont les baraques qui sont délocalisables et non le Jardin botanique en tant qu'écosystème centenaire.
Atteinte à la rationalité, mais également aux droits des étudiants qui doivent bénéficier comme l'ont fait des générations d'ingénieurs, de ce laboratoire à ciel ouvert pour les travaux pratiques organisés dans leurs modules d'enseignement et pour la réalisation de leurs travaux de recherche. A lui seul, le département de zoologie agricole a réalisé depuis 1975 à ce jour, soit en 40 ans de travaux continus, 150 mémoires d'ingénieurs et thèses de doctorat dans ce Jardin botanique. Ce patrimoine appartient donc aux étudiants en cours de formation et aux futures générations d'étudiants.
Ceux qui veulent justifier ce projet d'anéantissement, savent parfaitement que toute la biodiversité naturelle qui s'est constituée le long d'un siècle dans ce Jardin botanique est IRREMPLAÇABLE. Quel scientifique pourrait donc risquer sa crédibilité en soutenant cette thèse de reconstruction par COSIDER, d'un jardin de biodiversité centenaire «clé en main», après sa destruction.
Quel scientifique pourrait également risquer sa crédibilité en voulant expliquer aux futures générations d'étudiants qu'ils doivent cesser définitivement de bénéficier de ce joyau unique de biodiversité pour de simples baraques de chantier, qui peuvent être installées ailleurs.
Face à la rationalité, tous les arguments avancés pour justifier l'injustifiable sacrifice de ce Jardin botanique de l'unique grande école en agronomie en Algérie, tombent.
Les enseignants chercheurs et étudiants engagés dans la sauvegarde du patrimoine de leur établissement demeurent donc mobilisés jusqu'à la délocalisation des baraques de chantier de COSIDER de leur école.
*Figure emblématique de l'Université algérienne, Salaheddine Doumandji est professeur de faunistique agricole et forestière à l'Ecole nationale supérieure d'agronomie (ENSA, ex. INA) depuis 43 ans.


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