Les puissants sont à Antalya Arrivés hier matin, les présidents russe Vladimir Poutine et américain Barack Obama, rejoints par la chancelière allemande Angela Merkel, ont transplanté le décor des négociations de Vienne sur la Syrie dans le coeur même de cette ville turque. L'onde de choc des attentats à Paris a déferlé sur le Sommet du G20 qui se réunit depuis hier à Antalya, en Turquie, non loin de la Syrie voisine, distante d'à peine 600 km. Cette importante réunion qui rassemble les dirigeants des grandes puissances, entre autres pays membres, intervient dans un contexte dominé par la propension de l'Etat islamique à s'attaquer à la France pour la punir de ses interventions au Moyen-Orient et en Libye. L'hôte du sommet, Recep Tayyip Erdogan, n'est pas allé par quatre chemins pour fixer le cadre de la réunion: «Nous en sommes désormais à un point où les mots ne sont d'aucun secours dans la lutte contre le terrorisme. Nous en sommes maintenant à un stade où (la riposte) doit être une priorité», a-t-il déclaré. Difficile et compliquée, cette riposte se heurte aux contradictions qui pèsent sur les engagements politiques des puissances concernées, la Turquie elle-même oscillant entre son soutien latent à Daesh pour contrer la montée en puissance de l'Iran et la progression chiite dans la région, d'une part, et sa croisade anti-kurde, d'autre part. Si le président chinois Xi Jinping et la Brésilienne Dilma Rousef peuvent paraître moins concernés par cette question que par les fluctuations du marché pétrolier, tel n'est pas le cas du monarque saoudien dont l'arrivée samedi à Antalya n'est pas passée inaperçue puisqu'il a fallu réserver 500 chambres dans l'hôtel le plus luxueux et assurer le parking à une soixantaine de berlines blindées, suivies de 16 camions transportant les «effets personnels» de sa majesté. Arrivés plus modestement hier matin, les présidents russe Vladimir Poutine et américain Barack Obama, rejoints par la chancelière allemande Angela Merkel ont transplanté le décor des négociations de Vienne sur la Syrie dans le coeur même de cette ville turque. L'ombre de Bachar al Assad a plus que jamais dominé un sommet qui s'est voulu un hommage et un engagement solidaire aux côtés de la France, victime d'horribles attentats, même si François Hollande a annulé son déplacement et s'est fait représenter. Très prisée par les touristes russes, la station balnéaire d'Antalya est, comme d'autres villes turques, le cadre de cellules dormantes de Daesh qui a multiplié les attentats à Ankara, Istanbul et dans des localités de moindre importance. Des arrestations préventives ont eu lieu la veille, dans les milieux islamistes surveillés depuis les deux attentats commis récemment par des kamikazes, le 10 octobre à Ankara (102 morts) et le 20 juillet à Suruc, près de la frontière syrienne (34 morts). Si Erdogan appelle à «abandonner l'idée qu'il y a des bons et des mauvais terroristes», pointant du doigt le Parti des travailleurs du Kurdistan, tous les autres participants ont chacun son idée, pas forcément la même, quant à la meilleure façon de lutter contre l'EI. Le président turc défend sans cesse sa solution d'une «zone de sécurité» au nord de la Syrie, rejetée par les pays occidentaux qui redoutent de devoir assumer l'engagement d'une force terrestre. Outre cette divergence entre Ankara et Washington, il y a la question du sort de Bachar al Assad sur laquelle Vladimir Poutine a été, tout récemment, on ne peut plus clair, réaffirmant que c'est l'affaire du peuple syrien et de lui seul. Le roi Salman d'Arabie et ses mentors ne parviendront pas à infléchir la position du président russe, et on voit mal comment un consensus véritable serait obtenu contre l'Etat islamique. Au-delà d'une communion de façade et d'une condamnation «unanime» du groupe terroriste, il faut s'attendre à l'absence d'un quelconque consensus à la clôture du sommet, ni à une «entente formelle» pour lutter contre l'EI, même si John Kerry le déclarait il y a peu. En abattant le chef de l'EI en Libye, Abou Nabil, alias Wissam Najm Abd Zayd al Zubaydi, vendredi matin, le Pentagone a néanmoins envoyé un signal que la France, secondée éventuellement par la Grande-Bretagne, pourrait interpréter à bon escient, la riposte contre Daesh revêtant les oripeaux de celle qui a frappé Al Qaîda au lendemain des attentats du 11 septembre. Car les Etats-Unis n'ont plus besoin de l'EI, les pays arabes ciblés étant dans un triste état de déliquescence géostratégique.