Samedi s'ouvre à Rabat un forum d'évaluation et de faisabilité des réformes dans de Grand Moyen-Orient. Un forum d'évaluation du projet américain de Grand Moyen-Orient, GMO, -incluant une réforme profonde d'une région qui a accumulé ces dernières décennies un retard dommageable dans son développement socio-politique-, se tiendra samedi à Rabat. Ce sera l'occasion, notamment pour les pays du Machrek et du Maghreb d'exprimer leur point de vue sur une notion qui a été loin de rallier les opinions publiques arabes et singulièrement celles de dirigeants arabes peu enclins, en vérité, à voir les choses changer. Echaudé par la levée de boucliers dans certains pays arabes, notamment parmi ses alliés les plus déclarés, à l'instar de l'Arabie Saoudite et de l'Egypte, Washington semble avoir procédé à un recul stratégique dans l'optique de laisser sa proposition de réformes mûrir et faire son petit bonhomme de chemin dans l'esprit des gens. De fait, plus mesurés dans leur approche du projet de démocratisation du vaste ensemble arabo-musulman, -qui va de la Mauritanie au Pakistan-, les Etats-Unis ont mis un bémol certain à leur initiative, adoptant un profil bas, qui sied à une politique arabe qui se veut pragmatique et qui, surtout, ne les met pas directement en première ligne. En réalité, après la chute du régime baasiste de Saddam Hussein en Irak, les Etats-Unis se voulant mentors de cette vaste région, -qui recèle la majorité des gisements de pétrole et de gaz dans le monde, matière première vitale et stratégique pour Washington- ont cru pouvoir manipuler ce grand ensemble à leur guise, voyaient alors grand, ayant en perspective un vaste projet pour le «Grand Moyen-Orient» -dans lequel étaient inclus les pays musulmans de l'Asie Centrale et de l'Est-, s'articulant autour de la libéralisation économique, sociale et politique. Ce projet américain devait-il faire peur? Face au refus unanime des pays arabes et de la région, il faut croire que oui, d'autant plus que le monde arabe marqué par les inerties de ses dirigeants était en fait incapable d'appréhender une telle vision d'ouverture démocratique. De fait, la réserve des dirigeants arabes aura surtout mis en lumière les pesanteurs qui empêchent l'émergence de la citoyenneté dans le monde arabe, faisant de cette région, l'une des plus en retard en terme d'évolution socio-politique et de développement. Or, le monde arabe, plus que d'une réforme sociale et politique, a besoin d'une véritable révolution et d'une remise en cause en profondeur de l'ensemble des schémas sur lesquels il a vécu le siècle dernier. Car, s'il y a un constat a faire, c'est bien celui du retard accumulé par le monde arabe dans les domaines de la bonne gouvernance et de la citoyenneté, des droits de l'homme, du statut de la femme, des libertés qui mettent en porte-à-faux toutes les déclarations lénifiantes des dirigeants arabes. Aussi, faut-il regretter que ce soit de l'étranger que vienne une initiative pour le changement, une transformation que les responsables arabes ne semblent point empressés à accompagner, quand on pouvait s'attendre à ce que ce soit ces dirigeants qui prennent les devants pour ne point se voir mettre devant le fait accompli d'imposition de réformes que, pertinemment, ils savent inévitables. Ce qui a fait dire récemment au secrétaire d'Etat américain démissionnaire, Colin Powell, «J'espère...que nous arriverons à une prise de conscience de la nécessité de réformes et d'une modernisation dans la région du Grand Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord». De fait, c'est bien d'une prise de conscience que les responsables arabes ont besoin, qui pensent pouvoir continuer à régenter leurs pays et les choses à leur guise alors qu'aujourd'hui, du fait de la mondialisation d‘une part, de la remise en cause de l'équilibre mondial prévalant à l'époque des deux blocs antagonistes, (occidental et soviétique) d'autre part, de l'émergence des Etats-Unis en tant que seule superpuissance mondiale enfin, incitent ou auraient dû inciter, les dirigeants arabes à réfléchir sur cette nouvelle donne, prendre les devants initiant, à leur niveau, leurs propres projets de réforme et de mise à jour de leurs institutions nationales et paranationales. Or, loin d'avoir été le cas, les dirigeants arabes, à l'image du raïs égyptien, Mohamed Hosni Moubarak, font de la résistance et dénient à quiconque de décider à leur place du destin du monde arabe. Toutefois, la question n'est plus là en fait, mais celle de savoir si le monde arabe a la capacité et, sans doute surtout, la volonté de se réformer de l'intérieur, sans se faire imposer de l'extérieur, d'une manière ou d'une autre, des réformes aujourd'hui inévitables. Certes, les Américains, qui ont lancé l'initiative des réformes dans cette région du monde, concèdent aujourd'hui que ces changements ne pourront venir que «de l'intérieur des pays concernés» et «à un rythme adapté à chacun». Mais le fait patent est que, bon gré mal gré, les Arabes savent présentement qu'ils sont à un tournant et que la mise à niveau de concepts politiques, sociaux et économiques, aujourd'hui caducs, est maintenant incontournable. Ce que, sans doute, le forum de Rabat mettra en exergue.