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PROJECTION DE MADAME COURAGE AUX JCC
Publié dans L'Expression le 24 - 11 - 2015


Le comédien Adlane Djemi dans le rôle de Omar
En compétition officielle, projeté dimanche soir au cinéma Le Colisée, blindé de monde, le nouveau film de Merzak Allouache, écrit par sa fille, Bahia, est fort en cruauté que viennent atténuer des nuages de tendresse et d'humeur cocasse des plus inattendus.
Lorsqu'on a vu Les terrasses, on se demandait jusqu'où ira dans sa cruauté le prochain film de Merzak Allouache d'autant qu'on pensait que le seuil de celle-ci était allégrement franchi. Lorsqu'on découvre son tout nouveau long métrage, Madame Courage on se dit qu'on n'a pas fini justement de tout voir avec le père de Omar Gatlato. Ironie du sort, le héros de son nouveau long métrage semble porter les stigmates de l'anti-héros, 30 ans après.
A travers ce film, le réalisateur semble vouloir pointer du doigt l'état de décrépitude, le degré de violence autant social que psychologique et tout aussi le fond du gouffre dans lequel le pays est tombé. Autrement dit bien bas. Ça serait cependant trop schématique, voire réducteur de résumer toute l'Algérie à un seul individu, mais en tout cas c'est sur ce personnage aussi désarmant qu'attachant, cruel que naïf que le réalisateur a choisi de se focaliser en le suivant dans sa descente aux enfers, mais pas que la sienne. D'abord, lui, en s'adonnant à la drogue, ce qui lui permet de bousculer dans un autre univers somme toute apaisant mais qui provoque paradoxalement des réactions impulsives de la plus haute violence comme le meurtre. Tout commence par une course-poursuite la nuit.
Un groupe d'individus traque un jeune garçon qui parvient à lui échapper et retourne chez lui. On comprend vite que c'est un jeune oisif et délinquant qui ne va pas à l'école. Il vole un collier en or à une jeune fille, mais au vu de sa grande frayeur, en la suivant jusqu'à chez elle, il finit par le lui rendre.
On l'a compris, un voleur oui, mais avec un coeur d'artichaut, qui respire et ressent malgré sa loque de corps fragile qu'il traîne à dos de moto-courant à contre-courant de la vie... Ainsi se dessine le portait de ce jeune homme qui ne pipe mot durant presque 20 mn du début du film.
En fait, Omar Gatlato d'aujourd'hui n'a plus fière allure. Ce dernier vit à Mosta et a comme mode de vie le vol pour pouvoir payer ses doses d'ecstasy qui le font immédiatement planer.
Devant le portrait de ce jeune homme à problème, habitant dans une baraque avec sa famille, on se demande alors, à un moment du film, quel sera le prochain sujet glauque auquel va s'attaquer le réalisateur: la prostitution? Et vlan! on ne s'était pas trompé. Un peu trop facile comme cliché misérabliste, mais bon!
Voilà comment la soeur de Omar est présentée effectivement comme une prostituée, dont le proxénète lui miroite vaguement des promesses de mariage et finit par la tabasser quand celle-ci lui fait perdre des clients. Toujours cette incessante chute que le réalisateur triture inlassablement. Film noir qui brosse le portait d'une humanité en déliquescence, Madame Courage, en référence à cette drogue, parvient à nous attendrir à des instants des plus inattendus, comme ces séquences où le jeune sourit à cette fille, quant il la suit avec ses amies, la prend en photo ou encore dans cette belle séquence des plus suggestives et poétiques lorsqu'il vient courir dans son quartier à la tombée de la nuit avec un fumigène à la main ou encore ces regards échangés à travers la fenêtre à la manière d'un Cyrano tragique des temps modernes. Et puis, cette unique scène sensuelle, voire érotique pour certains quand Omar arrache à la jeune fille son voile et commence à lui caresser délicatement les cheveux. Des minutes, mais qui pour ces deux-là, a dû sembler une éternité. Or, derrière ces instants d'accalmie, de naïveté, mais de grave torpeur, gronde une tempête intérieure qui poussera Omar à chaque humiliation à aller se venger.
Ne dit-on pas que Omar Gatlato «el housia»? et plutôt deux fois qu'une. Une fois pour venger sa soeur et puis lui-même quand le frère de la jeune fille dont il finit par s'amouracher s'avère être un policier qui viendra à son tour le bastonner et l'emmener au poste de police pour l'interroger. Omar au sang chaud part à la vendetta, l'arme banche à la main. Seulement, il rate parfois sa cible quand, assailli par la fatigue et les heures à coucher dehors sur le coup de l'ecstasy, s'endort et ne se réveille que plus tard...
Autre moment fort dans le film est quand Omar part se réfugier dans un cimetière et se met à la hauteur d'un ange et joue de la lumière de son portable sur la statuette. Le film est en effet traversé par plein de moments de grâce et de tendresse qui viennent alléger la dramaturgie assez chargée du film. Mais toujours avec parcimonie car ces plages de respiration ne sont en réalité que des paravents à un choc plus grand.
Très beau film est Madame Courage et ce, malgré la détresse humaine qui en découle, la misère morale qui se dévoile, et autour de laquelle se brisent toutes les valeurs d'une société qui trouve refuge seulement en Dieu. Bref, un film judicieusement cruel et c'est d'autant plus terrible quand on découvre que c'est plutôt une jeune qui a écrit le scenario, autrement dit Bahia Allouache, la fille de Merzak Allouache.
L'on se dit que c'est sans doute son regard de journaliste aguerrie à tous les maux sociopolitiques de la société qui l'a un peu inspirée. Mais le tout porté avec finesse et une belle maturité à saluer vivement...
En tout cas, le film Madame Courage qui nous donne une belle claque, laisse des traces sur les gens rencontrés ici à Tunis. Un film à méditer sur le sort de cette jeunesse désoeuvrée et laissée pour compte de la société et dont il faudra bien un jour penser à prendre en charge si l'on ne veut pas qu'elle se transforme (à nouveau) en monstre...


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