Le cinéaste égyptien, Youssef Chahine, a brossé un tableau noir de la situation du cinéma dans les pays arabes. C'était hier, lors de la conférence de presse qu'il a animée à la salle Ibn Khaldoun d'Alger. «Les responsables arabes ne font rien pour la promotion du 7e art, alors comment voulez-vous que le petit peuple s'y intéresse?» s'est-il demandé. Pour lui, les grandes réformes dont les présidents arabes ne cessent de parler «ne sont que de la poudre aux yeux. Qu'on commence tout d'abord par le secteur de la culture qui encaisse coup sur coup. Qu'on s'intéresse d'abord aux arts, à la littérature, au théâtre...qui sont les fondements de toutes les nations pour venir par la suite à l'économique et au politique. En l'absence d'une véritable politique culturelle, les pays arabes sont condamnés à vivre dans l'ignorance, le totalitarisme et l'injustice», a insisté Chahine qui est en Algérie, depuis jeudi dernier, pour la présentation de son dernier film «Alexandrie...New York». Cependant, poursuit-il, «on ne peut considérer ce secteur à sa juste valeur si on continue d'ignorer les professionnels, les gens capables de s'en occuper sérieusement». Pour illustrer le désintérêt que portent les présidents arabes au cinéma, ce grand réalisateur a évoqué l'exemple du chef de l'Etat égyptien, M.Hosni Moubarek, qui dit «préférer zapper sur les chaînes qui montrent un match de football que de voir une émission cinématographique». «Cela est choquant, d'autant plus que le cinéma américain, qui devient plus que jamais médiocre, ne cesse de frapper le cerveau des Arabes». Justement, en évoquant le pays de l'Oncle Sam, Youssef Chahine n'a pas manqué l'occasion de fustiger le président Bush qu'il a traité d'ailleurs de tous les noms. «C'est un frustre, ignorant qui continue, au nom de la lutte contre le terrorisme, de frapper les pays arabes et musulmans. Avant c'était l'Afghanistan, aujourd'hui l'Irak et demain c'est l'Arabie Saoudite, la Syrie et puis ça sera le tour de l'Egypte, de l'Algérie...». Pour lui, le concept de Nation arabe «n'est qu'une illusion que les Arabes doivent bannir à jamais.» «Pourquoi lorsque les Etats-Unis ont attaqué l'Irak aucun pays arabe n'a bougé le petit doigt pour crier à l'injustice? Pourquoi, au nom de la lutte antiterroriste, 200.000 Irakiens ont péri sous les affres d'une guerre qui n'a pas de nom?» s'est exclamé Chahine. Toutefois pour lui, «aujourd'hui les choses sont claires : le fossé séparant les gouverneurs arabes des gouvernés s'élargit de plus en plus. Les politiques et les peuples ne marchent plus sur le même mot d'ordre, et c'est ce qui a favorisé l'infiltration des forces étrangères». Par ailleurs, concernant la situation du cinéma algérien, Youssef Chahine s'est montré chagriné: «A l'indépendance, l'Algérie disposait de quelque 400 salles de cinéma, aujourd'hui le nombre s'est beaucoup rétréci» Et la solution? «Il faut la chercher du côté de votre ministère de la Culture qui est beaucoup plus au fait des choses que moi», a-t-il ironisé. Néanmoins, il a évoqué, non sans émotion, le soutien que lui avait apporté le réalisateur algérien Ahmed Rachedi, lorsque «j'ai eu tous les maux du monde à réaliser mon film le Moineau. C'est grâce à son aide que j'ai pu terminer ce film» a-t-il conclu.