Les travailleurs face aux gendarmes Un air de révolte ouvrière planait sur cette belle première journée du mois de décembre: une grève, des émeutes. 12 travailleurs arrêtés et une vingtaine d'autres blessés. 24 heures après la «révolte» des députés de l'opposition contre la loi de finances 2016, ce sont les travailleurs qui se rebellent! En effet, les ouvriers de l'Entreprise nationale des véhicules industriels, Snvi, de Rouiba ont gagné la rue. Tôt dans la matinée d'hier, ces travailleurs,dont la colère fermente depuis un bon moment déjà, ont décidé d'entrer en grève. «Le climat est vraiment délétère au niveau de l'entreprise», pestent-ils. «Depuis quelques mois déjà, le versement de nos salaires connaît des retards, ce qui n'est jamais arrivé avant. On ne produit pratiquement plus rien, les investissements promis sont bloqués. On a l'amère impression que l'on est en train d'assister, impuissants à la liquidation de notre entreprise», poursuivent-ils, réunis, à l'intérieur de ce grand site industriel où ils observent leur piquet de grève. Après presque une heure de protestations et de longues concertations, ces travailleurs décident de durcir leur mouvement! Ils optent pour ce qu'ils appellent le seul langage que comprennent les autorités: «Le blocage de route.» Ils coupent à la circulation la Route nationale 5 au niveau de la zone industrielle de Rouiba. Ce qui provoque des embouteillages monstres dans toute la banlieue est d'Alger. «Le devenir de notre entreprise est en jeu. C'est 3875 familles qui se nourrissent de cette usine», lance un syndicaliste en s'excusant des désagréments causés à ses concitoyens. «Certes, on proteste pour que nos salaires soient payés à temps mais si ce n'était que ça, on aurait pu attendre quelques jours, comme on l'a fait durant les 4 derniers mois. Or, on sent que les responsables sont en train de saboter la Snvi pour pouvoir la brader et nos emplois avec. Pour sauver le pain de nos enfants, on est obligés d'en arriver là!», ajoute ce syndicaliste qui a requis l'anonymat. «On a vu hier, ce qui s'est passé au niveau de l'APN et on a compris que nos craintes et les rumeurs concernant la privatisation de l'entreprise sont fondées...», se désole-t-il. «Les choses sont claires, on est en train d'assister à un remake du milieu des années 1990 en sabotant les entreprises nationales pour les donner au dinar symbolique au privé et aux multinationales», estime-t-il. La situation est donc tendue. Klaxons, sirènes des forces de la gendarmerie et de la police viennent s'ajouter aux cris des manifestants. Un air d'octobre 1988 plane sur cette belle première journée du mois de décembre. Les automobilistes perdent patience. Les forces de l'ordre aussi! Il est passé 11h, les forces antiémeute de la Gendarmerie nationale décident d'intervenir pour rouvrir la route à la circulation. Cette intervention musclée dégénère vite et tourne à l'affrontement! La RN 5 devient un véritable champ de bataille. L'émeute se poursuit même à l'intérieur de l'usine. Les gaz lacrymogènes sont de rigueur. L'air est irrespirable. Des travailleurs tombent sous l'effet de ces gaz au moment où certains de leurs collègues, ceux qui sont identifiés comme des meneurs sont arrêtés. «Au total 12 de nos collègues ont été arrêtés, et une vingtaine d'autres ont été blessés et transférés d'urgence à l'hôpital de Rouiba», témoigne un autre ouvrier. Aux environs de midi, la route est réouverte. Les affrontements cessent. Mais la situation reste tendue! La colère des travailleurs ne désemplit pas, bien au contraire. «On n'est pas des voyous pour nous traiter de la sorte. On est juste des travailleurs qui défendent leur gagne-pain», crie l'un d'eux rassemblé avec ses collègues et faisant face aux gendarmes. La protesta ouvrière continue jusqu'à la fin de la journée. «On n'arrêtera pas notre grève jusqu'à ce que nos salaires soient payés, nos camarades relâchés et que l'on reçoive des garanties sur l'avenir de l'entreprise», réclament-ils déterminés. Les soutiens à ces travailleurs ne tardent pas à se manifester. Le Parti des travailleurs qui est le plus grand opposant à la loi de finances 2016, notamment ses articles 66 et 71, n'a pas tardé à soutenir les employés de la Snvi dans leur protesta. Le parti cher à Louisa Hanoune dénonce: «L'oligarchie veut mettre main basse sur ces entreprises qui sont le fleuron de l'Industrie nationale».: «Les travailleurs ont raison de s'inquiéter sur l'avenir de leur outil de production, ces entreprises qu'ils ont maintenues contre vents et marées (concurrence déloyale, manque de soutien de l'Etat...)», assure Ramdane Taâzibt, député du PT. «La violence de la loi de finances 2016, le coup de force à l'assemblée, la violence des déclarations du ministre du Travail qui parle d'un million de travailleurs en plus dans la Fonction publique sont une déclaration de guerre!», s'insurge-t-il. Le Conseil des lycées d'Alger (CLA) se mêle également de cette affaire. Il dénonce «la répression» contre les travailleurs de la Snvi et «les atteintes aux droits syndicaux». Dans un communiqué, il exprime «toute sa sympathie et sa solidarité à ses camarades de la Snvi et exige la libération immédiate de tous les travailleurs détenus et qu'aucune poursuite ne les vise!». La «rébellion» de la Sonacom aura donc réussi à faire parler d'elle. «Les autres unités de la Snvi du pays, qui comptent plus de 10.000 travailleurs, ont appris ce qui s'est passé. Ils sont également entrés en grève», attestent les employés. Les syndicalistes, eux, affirment avoir reçu le soutien d'autres syndicats d'entreprises publiques qui «menacent d'entrer en grève en solidarité» avec eux. La Snvi aura donc débrayé! Preuve que la LF 2016 sera très difficile à digérer...