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Quand Daesh aura fini sa mission
LE MOYEN-ORIENT DU XXIE SIÈCLE
Publié dans L'Expression le 03 - 12 - 2015

Daesh disparaîtra, mais ce n'est pas pour autant que le calme reviendra
«Plus on possède et plus on est possédé» Nietzsche
Il y a un siècle, au plus fort de la Première Guerre mondiale: la der des der. Deux nations en guerre contre l'Allemagne pensaient déjà à l'après-guerre. L'Allemagne et l'Empire ottoman furent vaincus non pas par les belligérants directs que furent l'Angleterre et surtout la France, mais par l'entrée en guerre d'un troisième acteur qui fit la décision: les Etats-Unis d'Amérique du président Wilson. L'Allemagne et l'Empire ottoman furent ensuite humiliés par les différents traités de Versailles, Lausanne. Autant de vexations «l'Allemagne paiera»...il en fut de même de l'Empire ottoman qui se vit dépecé et il a fallu un Mustafa Kemal Atatürk pour dire non et faire retrouver à la Turquie un certain nombre de territoires. La Turquie fut accusée d'un génocide imaginaire par la doxa occidentale qui ne dit pas un mot des exactions des Arméniens armés par les puissances occidentales comme ce fut le cas des maronites au Liban province du Chem (Syrie actuelle) de l'Empire ottoman 50 ans plus tôt.
On le voit, la perfide Albion et le coq français n'ont eu de cesse d'agresser les pays du Moyen-Orient jusqu'à ces accords maudits de Sykes-Picot alors que la dépouille de l'Empire était encore fumante. Ces accords secrets signés le 16 mai 1916, entre la France et le Royaume-Uni (avec l'aval des Russes et des Italiens), prévoyaient le partage du Proche-Orient à la fin de la guerre (espace compris entre la mer Noire, la mer Méditerranée, la mer Rouge, l'océan Indien et la mer Caspienne) en plusieurs zones d'influence au profit de ces puissances, «Le gouvernement de sa Majesté et ses alliés n'ont pas abandonné leur politique qui consiste à apporter leur concours le plus entier à tous les mouvements qui luttent pour la libération des Nations opprimées. En vertu de ce principe, ils sont plus que jamais résolus à soutenir les peuples arabes dans leur effort pour instaurer un Monde arabe dans lequel la loi remplacera l'arbitraire ottoman et où l'unité prévaudra sur les rivalités artificiellement provoquées par les intrigues des administrations turques. Le gouvernement de Sa Majesté confirme ses promesses antérieures concernant la libération des peuples arabes.» Ce ne fut pas du goût du président Wilson qui, par son représentant le vice-secrétaire d'Etat Richard Armitage, qualifia ce traité de tous les noms et la position des acolytes franco-anglais de duplicité. Aux Etats-Unis, le président Woodrow Wilson, tentant de mettre en avant l'argument de l'autodétermination des peuples, ne participe pas aux accords Sykes-Picot et cherche à obtenir un mandat de la Société des Nations elle-même en organisant dans le cadre d'une commission une consultation des peuples concernés.. Les Français et les Britanniques sentant la situation leur échapper quittent la commission et se mettent d'accord sur les frontières à la conférence de San-Remo en avril 1920.» (1)
Où en sommes-nous un siècle après?
«Les promesses disait Jacques Chirac, n'engagent que ceux qui y croient. Non seulement les Arabes furent trahis, mais ils ne relevèrent plus la tête avec l'entrée en force des Etats-Unis en Arabie saoudite. La concession de la société Aramco couvre l'essentiel du territoire saoudien. L'entrevue sur le croiseur Quincy sur le canal de Suez acheva de faire sortir les Arabes de la sphère anglaise pour se satelliser autour des Etats-Unis. La Russie tsariste engluée dans sa révolution ne participa pas à la curée, sauf par les intermédiaires de ses marches. Elle attisa les haines, ce qui permit à la Grèce de tenter de récupérer en vain des territoires. Ce dépeçage des faibles est une constante de l'Occident européen faible avec les forts et fort avec les faibles. Il y eut trois conséquences. L'Allemagne ne s'avoua pas vaincue malgré la destruction et le viol de ses usines qui furent démontées. Elle se réarma et on connaît la suite. Hitler envahit la France en trois semaines et obligea par la débâcle de Dunkerque les Anglais à se retirer. Là encore ce fut les Américains et les Russes qui sauvèrent la France et l'Angleterre.
Il est indéniable que les prémices du chaos actuel ont commencé avec l'invasion de l'Afghanistan en 1979 par l'Union soviétique lassée des harcèlements américains sur ses marches après la débâcle du Vietnam. Un certain Bin Laden au nom du djihad, fut créé par la CIA qui mit à sa disposition ces fameux missiles stinger qui firent des ravages dans les chars T34 soviétiques. Ce fut ensuite la disparation de l'Union soviétique sous les triples coups de boutoir. Un Gorbatchev conciliant, partisan de la perestroïka, un électricien et son mouvement Solidarnosc d'où est partie l'étincelle qui devait embraser l'empire, et un pape prosélyte et ouvertement contre l'Union soviétique appelant à la rébellion: «N'ayez pas peur!». Ce fut ensuite l'invasion malheureuse du Koweit par Saddam qui dit-il avait la permission des Américains tel que le lui aurait assuré l'ambassadrice April Glapsie. George Bush I remet les choses en place et affirma à la face du monde le Nouvel ordre impérial. Ce fut pour Fukuyama «la fin de l'Histoire».
L'Empire n'ayant plus de vis-à-vis avec la disparition de l'empire soviétique se vit comme hyperpuissance, dictant le bien et le mal. Il lui manquait cependant un paramètre pour mettre en place le Nouvel Ordre néolibéral pour s'accaparer l'énergie qui en est le moteur. C'est ainsi que vit le jour le Pnac (Program for New American Century). Le prétexte des attentats du WTO tombait du ciel. Cette attaque où 3000 personnes périrent marqua la fin de la sanctuarisation des Etats-Unis. Bush II ouvrit la boîte de Pandore et la France lucide de Chirac s'opposa, contrairement au Royaume-Uni de Tony Blair qui découvrit -sur le tard, 1,5 millions de morts plus tard dont 500.000 enfants, un pays qui vit l'enfance de l'humanité disparaître- que ce fut une erreur. En 2014 l'avancée de l'Etat islamique abolit en partie la frontière entre la Syrie et l'Irak, ce qui réunit dans les faits des territoires gérés autrefois par la France et la Grande-Bretagne, toute l'architecture géopolitique se fondant sur les accords Sykes-Picot est en train de voler en éclats, depuis le début de l'été 2014. Curieusement, cela a correspondu avec la chute brutale des prix du pétrole qui furent en partie bradés par Daesh au profit d'acheteurs occidentaux.
Le chaos irakien, libyen et syrien
Dans une contribution récente, Robert Armata écrit à ce sujet: «(...) Après la mort du tyran [Saddam ndR], débute une période d'attentats sanglants perpétrés par les opposants à l'occupant et par les milices confessionnelles. Le terrorisme profite d'une situation politique désastreuse et instable pour se développer. Le système politique en place, soutenu par l'administration Bush et reposant sur une répartition ethno-confessionnelle des postes à dominante chiite, exclut la représentation religieuse séculaire sunnite. Parce qu'ils demandent un rééquilibrage du pouvoir, l'opposition sunnite est systématiquement accusée de terrorisme. Ils subissent des arrestations, des détentions arbitraires ainsi que des exactions. Les insurgés sunnites sont devenus des djihadistes sunnites opérant sous le nom d'Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL, également connu sous son acronyme arabe, Daesh). (2)
«En 2007, Mouammar Kadhafi séjourne à Paris, et plante sa tente bédouine à deux pas des Champs-Elysées. Il est, à ce moment-là, fréquentable. Quatre ans plus tard, il est indésirable. Sous l'impulsion pressante de Nicolas Sarkozy, la résolution n° 1973 du Conseil de sécurité de l'ONU légalise une intervention militaire contre le régime libyen. Pourtant, le souffle du «printemps arabe» commence à faire son oeuvre en Libye. Le printemps libyen attendra, car la priorité pour le président français est de «protéger la population» contre son ancien hôte. Le mandat de l'ONU est «contourné» et se transforme en chasse au dictateur libyen, avec fournitures d'armes, notamment par la France et le Qatar (12) aux opposants au régime. Là aussi, le système médiatico-polititico militaire fait son travail de manipulation des opinions. Il faut six mois d'intervention, 20000 sorties et 6500 frappes aériennes pour éliminer le tyran. Mais dans quel état se trouve la Libye post-Kadhafi? Jean Ping (13) témoigne: «En Libye, comme nous l'avons prévu, le rêve européen a également tourné au désastre. Les appareils d'Etat ont imposé au profit des seigneurs de la guerre, des clans mafieux et des terroristes islamo-affairistes; le pillage des stocks d'armes a transformé ce pays en un gigantesque arsenal à ciel ouvert; les filières d'immigration clandestine se sont multipliées. Au point que la Libye est devenue, pour reprendre l'expression d'un ancien patron des renseignements français,'' l'Afghanistan de proximité des Européens''.» (2)
«Jean Ping poursuit -il témoigne: «Avec ou sans mandat de l'ONU, lorsqu'une puissance occidentale décrète de partir en guerre, rien ne peut l'arrêter. Que faut-il voir dans la «mise à l'écart de l'ONU»? Ses valeurs, issues de la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948, sont-elles en opposition aux diktats du FMI, de la BCE, de l'OMC et de l'Union européenne? Par l'ONU les puissances occidentales ́ ́légalisent ́ ́ leurs interventions, et utilisent le bras armé, l'Otan, pour les exécuter»(2).
Les affaires sont les affaires. La détresse humaine rapporte: «Ventes d'armes: le grand boom des exportations françaises», c'est le titre d'un article de Pierre Alonzo «Rien de mieux qu'une bonne guerre pour vendre des armes.» Les prévisions de commande d'armement pour 2015 sont un bon «millésime», elles s'élèvent à 15 milliards d'euros. La France fait partie des principaux pays vendeurs d'armes, elle est en passe de remplacer la Chine située actuellement à la troisième place. Entre le ministère de la Défense, l'Elysée et les industriels, c'est un vrai travail d'équipe. Des armes pour faire la guerre, la guerre pour vendre des armes.» (2)
La nouvelle configuration du Moyen-Orient
Dans l'impossibilité de citer tous les épisodes, nous ferons un arrêt sur image. La Russie combat réellement Daesh; combattu mollement par la «coalition». Les roitelets du Golfe pourvoyeurs du terrorisme en argent et en idéologie moyenâgeuse ne sont pas inquiétés (pétrole oblige Daesh prospère en vendant son pétrole aux Turcs (d'après la Russie ce serait même le fils Bilal Erdogan qui en serait le maître d'oeuvre). Il faut ajouter la destruction d'un avion russe par l'aviation turque et il est impossible de croire à une bavure ou à une erreur. La Turquie voulant, semble-t-il, donner un avertissement aux Russes se croyant soutenue par l'Otan qui ne bouge pas d'un millimètre en dehors d'appeler à la retenue.
Il est hors de doute que la création ex nihilo de Daesh (sunnite) va disparaître comme elle était venue. Que va-t-il arriver ensuite sachant que ses jours sont comptés avec la détermination des Russes et des Occidentaux qui sentent que la situation va leur échapper avec le nouveau reshaping où il n'auront pas leur place? C'est le cas de la France qui tente de se replacer quitte à pactiser avec Bachar El Assad qui il y a quelques mois, «ne méritait pas de vivre» à en croire monsieur Fabius qui fait un virage à 180°. Même le Royaume-Uni veut en être et même l'Allemagne qui, elle, va carrément envoyer des troupes partout (au Mali et en Syrie). Le reshaping aura alors deux configurations: soit on fait tout pour préserver les intégrités territoriales avant les agressions de la Syrie et de l'Irak. Cela aurait l'avantage de revenir à garantir autant que faire se peut des équilibres communautaires et religieux qui ont mis des siècles à sédimenter; notamment la place des chrétiens d'Orient qui fut le berceau du christianisme et non l'Europe. Dans ces conditions, tout le monde ne perdrait pas la face, mais ne gagnerait rien en échange. Le seul écueil serait la position d'Israël qui fera tout pour que le chaos continue d'une part, cela fait diversion pour enterrer le problème des frontières palestiniennes conformément à la résolution du 22 novembre 1967 et l'annexion définitive du Golan. L'autre perdant à un degré moindre est l'Iran qui perdra en influence. Reste la deuxième option, celle de la guerre de tous contre tous et il est hors de doute que la destruction du Sukkhoi ne restera pas sans conséquences. Déjà on prête à la Russie une stratégie d'aide aux Kurdes syriens pour qu'ils détruisent Daesh. Rien n'interdit qu'ils s'allient aux Kurdes du PKK pour former un territoire dans l'attente d'une confédération avec les Kurdes irakiens de l'indéboulonnable Barzani et les Kurdes iraniens. Ce qui donnerait une identité aux Kurdes. Identité qu'ils ont perdue avec Sykes-Picot
S'agissant des roitelets adipeux du Golfe. Comment pourrait -on avec ce reshaping donner la parole aux peuples arabes pour qu'ils aillent vers la démocratie et la modernité? Il n'y a rien à attendre de cette situation où ce sont encore une fois les puissances occidentales qui font et défont les pouvoirs locaux au gré de leurs zones d'influence.
A bien des égards, l'Europe n'existe plus, les derniers soubresauts ne sont que des feux de paille. Le monde a changé et ce qui s'est passé pendant un siècle ne se passera plus avec les nouveaux acteurs, notamment les pays émergents. Daesh disparaitra, mais ce n'est pas pour autant que le calme reviendra. Surtout que nous sommes à la veille d'élections américaines
(dans 10 mois) avec deux candidats aussi faucons l'un que l'autre. Sauf si l'ONU arrive à conclure un statu quo qui donnera une chance à la paix. Cependant, la place du sacré dans la gestion du pouvoir dans les pays arabes fera qu'il y ait ou non une nahda (réveil multidimensionnel notamment scientifique) qui interdira définitivement les ingérences occidentales qui ont fait le malheur dees pays arabes avec, on l'aura compris, l'adoubement des tyrans locaux.
1. Les Accords Sykes-Picot: Encyclopédie Wikipédia
2. Robert Armata:http://www.agoravox.fr/ actualites/international/article/de-la-fin-de-la-guerre-froide-a-174639


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