Mohamed, Omar, Nadia, Farouk, Nadjet, Ramzi, Fatiha et les autres. Ils sont jeunes et ont décidé de se donner corps et âmes pour les autres. Les quelques heures passées avec les bénévoles du Croissant-Rouge sur le terrain redonnent l'espoir à cette jeunesse. Sans aucune démagogie. Détails. 15h40. siège du Croissant-Rouge, boulevard Mohamed V. Le convoi s'ébranle vers Oued Koriche. «Nous sommes obligés d'envoyer tôt nos bénévoles là bas», nous indique la secrétaire générale du Croissant- Rouge, «c'est à cause des embouteillages», explique t-elle. Trente minutes plus tard, les bénévoles, en majorité des jeunes encadrés par le directeur des opérations, arrivent à l'école Saïd-Mehenni, située non loin de l'APC de Oued Koriche. «Cette école abrite 45 familles, soit 220 personnes», précise Omar, le jeune et dynamique responsable de l'équipe des bénévoles sur ce site. Le docteur Baroudi, directeur des opérations, nous fait visiter une petite salle au rez-de-chaussée aménagée en bureau des opérations, en salle de soins et d'écoute psychologique. «Nous avons ici des médecins, des sages femmes et des psychiatres bénévoles qui assurent le relais», nous explique le Dr Baroudi. La jeune équipe du Croissant-Rouge est à pied d'oeuvre depuis une semaine. Outre la garantie du repas du f'tour, les enfants des familles sinistrés bénéficient également d'une bonne quantité de lait chaque matin. «Nous avons assez de lait pour les petits», nous déclare ce père de famille en poursuivant: «Nous avons des réchauds à résistance, l'utilisation de chauffe-plats à gaz nous a été déconseillée.» Il est très difficile de suivre Omar, occupé à coordonner les efforts de ses collègues. Nadjet, mère de deux petites filles, bénévole infatigable, assiste des vieilles femmes à la cuisine improvisée dans une grande salle au rez-de-chaussée dans la préparation de la chorba et du djouaz sur des réchauds apportés par le Croissant-Rouge. «Nous faisons exprès de faire participer des femmes sinistrées logées ici dans la préparation des plats», commente Omar. «C'est un apport positif pour leur équilibre psychologique», ajoute-t-il. Mais l'action des bénévoles ne se limite pas à ce site. Des équipes mobiles travaillent sur des «hors site» comme les appelle le Dr Baroudi, c'est à dire porter aide aux familles et personnes éparpillées à travers la zone Bab El-Oued El-Biar-Frais Vallon-Beau-Fraisier. «Avant-hier, nous informe Omar, au Télemly des maisons se sont effondrées les 6 familles ont été relogées dans un stade et à Scala, 11 familles sont logées provisoirement dans une école. Nous avons visité deux sites au Télemly, et on a commencé à distribuer de la nourriture dans un seul site en attendant de s'organiser pour les autres». 16h40. Direction Frais-Vallon, plus précisément, le CEM Yasmina où sont hébergées 56 familles, 226 victimes de la crue et des glissements de terrain particulièrement dévastateurs dans cette vallée. Là, l'équipe mobile supervise la distribution du pain, des marmites de soupe et d'eau minérale. La voiture, qui a transporté les vivres appartient à un des bénévoles. «Mais c'est parfois la pagaille, comme aujourd'hui», nous dit Omar en nous montrant le véhicule d'un boulanger venu offrir du pain et qui a été assailli par des dizaines de personnes. «La plupart des gens qui se pressent autour du pain ne sont pas des sinistrés de l'école», confie Omar. Quelques cris, une petite bousculade jusqu'au départ du particulier. Ce n'est que maintenant que les bénévoles entrent en action. Des représentants des sinistrés les assistent pour le bon fonctionnement de l'opération de distribution. Dans ces opérations, les procédures d'identification des sites et des familles dans le besoin se font en coordination avec l'APC, les Scouts, les associations caritatives, la Solidarité nationale et la population elle-même. «Le problème c'est qu'il faut tous les satisfaire», dit Omar dont la gorge sèche, après des jours et des nuits de travail, le contraint à parler d'une voix cassée, presque atone. Pour, Fatiha, le médecin qui accompagne l'équipe mobile, les pathologies les plus répandues dans les sites où sont hébergés les sinistrés sont les bronchites et les grippes ainsi que beaucoup de cas de diarrhées. «On nous a signalé quelques cas de gale dans certains sites qui souffrent du manque d'eau», complète-t-elle en soulignant le manque de certains médicaments comme la Ventoline pour les asthmatiques. En vitesse, l'équipe rejoint le siège de la Snta (Société nationale des tabacs et allumettes) à Bab El-Oued. La société a mis à la disposition des équipes du Croissant Rouge un grand local, une ancienne salle des fêtes, qui sera dans 24 heures transformée en cuisine et en réfectoire pour les sinistrés. Moussa, le coordinateur des opérations sur place, nous a indiqué que le travail de son équipe est d'effectuer dans une première phase des actions d'appoint dans les zones les plus touchées. Dans une seconde phase, les bénévoles devront procéder à des opérations d'hygiène et de préventions sanitaires. «Notre action peut s'étendre à d'autres secteurs, la Casbah, par exemple, si d'autres précipitations accentuent les risques pathologiques», poursuit-il. «Notre action englobe aussi l'aide aux autres sans logis, pour faire la jonction entre l'opération de Bab El-Oued et nos opérations routinières pendant le mois de Ramadan», précise Moussa. Le champ d'activité de l'équipe, basée à la Snta s'étend à d'autres sites. « Le travail le plus difficile c'est d'acheminer des repas aux familles hébergées à la polyclinique de Diar El-Kaf, la route étant complètement défoncée, on est obligé de monter à pied chargés de marmites, de pain et d'autres vivres », nous raconte ce jeune bénévole sur place. Les principaux problèmes, qui freinent l'action du Croissant Rouge, sont le transport, puisqu'il ne dispose pas d'un nombre suffisant de véhicules ainsi que l'hébergement des bénévoles qui fait cruellement défaut. 16h55. Retour vers Oued Koriche. Dans la cour de l'APC, des tentes ont été dressées. Elles abritent des postes de pompiers et de policiers. D'autres tentes sont destinées aux équipes du Croissant-Rouge s'occupant des sinistrés qui s'étaient réfugiés à l'APC avant d'être « évacués » le jour même. «La première nuit passée sous cette tente, notre équipe a été agressée la nuit et on nous a volé beaucoup de vivres et de couvertures», confie Omar qui vient d'être pris à part par un sergent des pompiers. «Il m'a fait part de ses doutes quant à deux con s particuliers de vivres», nous rapporte le jeune bénévole. Au cas où ces doutes seraient confirmés, une commission composée des représentants de la Protection civile, de la police et de l'APC sera mise sur pied pour suivre l'affaire. 17h10. La distribution des repas a commencé à l'intérieur de l'école. Chargés de marmites de soupes, de ragoûts, de pain, de plats de salade, de fardeaux d'eau minérales, de cageots de sachets de lait et de dattes, les jeunes de l'équipe sont en pleine effervescence. Nadia se démène comme un diable pour faire vite. La soupe est encore chaude. Devant la porte de la cuisine, deux policiers veillent à l'ordre. Des femmes, des enfants et des hommes viennent des quartiers voisins pour un bol de chorba, quelques baguettes de pain, ou un sachet de lait. Il y a aussi ces deux femmes, accompagnées de deux enfants, «évacués» de l'APC qui repartent avec un grand bol de soupe et un plat de salade. Plusieurs d'entre eux appellent Omar par son prénom. On se serre les coudes. On fait vite en essayant de n'oublier personne. Les jeunes qui avaient acheminé 77 sacs alimentaires pour les familles habitant des constructions précaires à la Scala viennent d'entrer et s'activent déjà à assister leurs collègues. La précarité galopante a enseveli toute la population et l'étendue de la misère n'a pas attendu 200 mm de pluie diluvienne pour se manifester dans toute sa hideur pathétique. Un donateur particulier apporte un grand plat de couscous, puis rebrousse chemin en s'apercevant que les jeunes du Croissant Rouge s'attellent à la tâche, et s'en va rapidement chercher ailleurs d'autres familles dans le besoin... 17h40. L'adhan retentit. C'est l'heure du f'tour. Avec les jeunes bénévoles, quelques pompiers et des policiers qui assurent la permanence devant l'APC, on s'attable dans la grande cuisine devant une chaude chorba relativement pimentée. Trop pimentée pour Ramzi, joufflu et jovial jeune étudiant qui nous raconte les premiers jours de leur action ici: «Ce n'était pas du tout facile par manque d'organisation, mais avec le temps ça commence à bien marcher». Nadjet, Omar, Mohamed et quelques autres, ne mangent qu'après avoir servi tout le monde. Ambiance chaleureuse d'un Ramadan sans goût. Mais les jeunes rigolent, se chamaillent sur les tours de permanence, se jettent des piques et rient. Heureusement. Après un bon café parfumé par un soupçon de chocolat, nous prenons les véhicules qui ramènent une partie de l'équipe vers l'antenne d'Alger. Des permanenciers assureront le service de nuit. Ils devront effectuer des tournées dans la nuit et inspecter d'autres sites. Omar et ses amis ne dormiront que très peu ce soir.