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Quand les malheurs forment des hommes
Le Croissant-Rouge algérien fait ses preuves à Ghardaïa
Publié dans La Tribune le 19 - 10 - 2008


De notre envoyé spécial à Ghardaïa
Samir Azzoug

Les 4X4 démarrent en trombe. La ruée de jeunes vers les véhicules estampillés Croissant-Rouge algérien (CRA) annonce une catastrophe, d'autant plus que la scène se déroule à Ghardaïa, à peine une quinzaine de jours après les inondations. L'impressionnante «déboulée» des secouristes du CRA, qui semble au départ anarchique, est en fait d'une organisation rigoureuse. Le facteur déclenchant l'opération, menée vers les coups de 21 heures, est un accident de la circulation routière survenu au centre-ville depuis à peine quelques minutes. Une collision entre deux motocyclistes. L'intervention fut rapide et efficace. Le temps de savoir ce qui se passait que, déjà, les secouristes avaient donné les premiers soins aux victimes et attendaient l'arrivée de l'ambulance. Le tout dans une ambiance bon enfant. Les deux victimes s'en sortiront avec quelques fractures. «Dès les premières heures après les inondations, le Croissant-Rouge algérien, à travers son comité de Ghardaïa, était présent sur les lieux. Rapidement, des équipes des wilayas limitrophes sont arrivées en renfort, en attendant l'arrivée du dispositif d'Alger 24 heures après», nous explique M. Khoudmi Mohamed Abed, coordinateur national de gestion des catastrophes au sein du CRA. En provenance des 48 wilayas, les différents comités du CRA arrivent par vagues successives. «On fait en sorte que les équipes ne restent pas sur place plus de 10 jours [entre 7 et 10], pour leur éviter d'avoir des problèmes psychologiques (dus au stress et à la surcharge émotionnelle). Et on se débrouille pour avoir, en permanence, un corps constitué de
274 volontaires toutes spécialités confondues», poursuit notre interlocuteur. L'air serein, souriant et affable, M. Khoudmi prend le temps de nous informer sur le fonctionnement du Croissant-Rouge en temps de crise. «Il y a plusieurs équipes sur le terrain. Chacune dans une spécialité. Il y a des équipes de secouristes, d'évaluation, de logistique… Généralement, elles sont composées de médecins, de psychologues spécialistes et de volontaires», détaille M. Khoudmi.
Sur une feuille de papier grand format est dessiné un organigramme représentant les postes de chaque responsable et son rôle. Le Croissant-Rouge algérien est une véritable organisation. «Les catastrophes de Bab El Oued et de Boumerdès nous ont beaucoup appris. Cette année, pour la première fois, nous avons créé le poste de coordinateur de pompes. Une équipe de pompage est venue avec du matériel, ce qui a permis en plus d'effectuer un travail indispensable, de former des volontaires dans la spécialité.»
Quantitativement, le bilan des interventions du CRA sur le terrain est quotidiennement actualisé et décortiqué lors des séances de travail quotidiennes. En une quinzaine de jours, il y a eu plus de 1 300 opérations d'assistance médicale, plus de 100 nettoyages de maisons, 136 caves vidangées, 44 dégagements de rues ainsi que la distribution de boissons chaudes et de biscuits pour 128 sinistrés. Et cela sans omettre les différentes campagnes de sensibilisation, de réhabilitation d'un centre de santé à El Tarf et de distribution de dons.
Sur ce dernier point, le coordinateur national de gestion des catastrophes se dit désagréablement surpris par le fait que le CRA ne soit pas associé aux opérations de distribution des dons. «Nous avons pu, grâce à l'utilisation de nos stocks au niveau de nos comités de wilaya, distribuer des dons jusqu'au 11 octobre [17 opérations]. C'est la décision de la cellule de crise de la wilaya de Ghardaïa où nous n'avons pas siégé», déplore-t-il. Malgré la présence constante des équipes du Croissant-Rouge au niveau des deux dépôts de dons, il déclare : «Nous n'avons pas pu inventorier notre propre marchandise. Nous ne savons pas ce qu'on a reçu, ni au niveau du dépôt central ni concernant les envois de marchandises par les citoyens. Les donateurs se basent surtout sur les dons alimentaires. Il faut aussi penser aux kits d'hygiène et aux médicaments. Il faut sensibiliser les gens dans ce sens à travers des appels via les médias. Nous avons une expérience importante dans ces domaines, je ne sais pas pourquoi on ne les exploite pas.» Pour ce qui est des opérations de secours, M. Khoudmi, tout en saluant le travail titanesque effectué par les différents services, particulièrement ceux de la Protection civile et de l'ANP qui ont déployé de «gros moyens», regrette le «manque de coordination» entre les différents secteurs. «On manque de rencontres et de simulations, ce qui affecte l'efficacité des secours. Il faut que les opérations de secours deviennent un réflexe». Par ailleurs, l'aide psychologique, qui représente un volet très important après une catastrophe d'une telle ampleur, est prise en charge par des équipes spécialisées du CRA.
Sur les 8 sites d'hébergement de familles sinistrées que compte l'organisation au niveau de Ghardaïa, des opérations de soutien psychologique sont assurées par des psychologues spécialistes. «Nous organisons des groupes de dialogue avec les enfants, des séances de dessin, nous avons même animé des fêtes pour l'Aïd que les enfants de Ghardaïa n'ont pas célébré cette année. On tente de recréer l'ambiance de cette fête si particulière. Depuis hier [samedi 18], des vêtements, des chaussures, des jouets et même des gâteaux traditionnels sont distribués aux enfants issus de familles touchées par les inondations et même ceux qui ne sont pas touchés. L'opération remporte un grand succès», témoigne M. Guerrout Belkheir, coordinateur national de gestion du soutien psychologique.
Quant à la date prévue pour la levée du dispositif mis en place par le CRA, M. Khoudmi déclare : «Dans notre programme, il est établi que le dispositif devrait être levé dans trois mois. Mais si l'Etat veut encore en prolonger la durée, nous sommes disposés à demeurer sur les lieux.»
Adel, Tarek, Daoud et Aziz, parmi tous les autres bénévoles arrivés des quatre coins du pays, sont médecins, cadres, simples fonctionnaires ou carrément chômeurs. Ils sont venus à Ghardaïa, comme ils seraient partis ailleurs, apporter leur aide, parfois au péril de leur vie. Entre eux, il n'y a pas de barrière. Ni sociale ni de niveau d'instruction.
Ce qui les a réunis, c'est une grande âme prête à se sacrifier pour les autres, sans rien en contrepartie. Un lien qui casse tous les remparts. Peu importe leurs motivations, leurs préoccupations sont les mêmes, sauver les autres.


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