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"Nous avons un devoir d'obligation en termes de qualité" LE DR LAMOURDIA THIOMBIANO, COORDINATEUR DU BUREAU SOUS-REGIONAL DE LA FAO POUR L'AFRIQUE DU NORD, À L'EXPRESSION
«La FAO n'est pas un bailleur de fonds» La population mondiale augmente et les besoins en produits alimentaires sont en forte croissance. L'agriculture prend, dans ce sillage, une importance capitale aussi bien à l'échelle des pays qu'à l'échelle mondiale. La FAO qui, depuis 70 ans, lutte contre la faim, la malnutrition et l'insécurité alimentaire et qui, simultanément, travaille à promouvoir un développement agricole durable, considère que l'agriculture représente l'enjeu du siècle. C'est Lamourdia Thiombiano, directeur sous-régional Afrique du Nord de la FAO qui, dans cet entretien, revient sur les objectifs stratégiques de la FAO, les mécanisme de son intervention auprès des gouvernements des pays membres, les soutiens et les aides qu'elle apporte à ceux-ci, notamment en facilitant les échanges et les partenariats entre les pays, ainsi que sur le bilan de son organisation. En toile de fond, est explicité le développement durable de l'agriculture dans le monde. L'Expression: La FAO est une organisation intergouvernementale qui travaille avec 195 pays. Quels sont les axes stratégiques sur lesquels elle intervient? Dr Lamourdia Thiombiano: La FAO célèbre cette année ses 70 ans. A l'origine de sa création, l'Organisation avait pour mandat d'assurer l'alimentation pour tous après que le monde ait survécu aux affres de la Seconde Guerre mondiale. Après 70 ans, cette organisation (la FAO) qui a traversé des situations relatives à la question de la faim, de l'accès à l'alimentation, de l'environnement, les défis de la pauvreté à travers le monde et tout ce qui concerne le développement durable, s'est fixé cinq objectifs stratégiques. Le premier objectif stratégique, englobe le mandat de la FAO à lutter contre la faim dans le monde. Aujourd'hui, il y a 800 millions de personnes qui n'accèdent pas à l'alimentation. Pour qu'il y ait accès à la nourriture, il faut produire et il faut produire d'une façon durable, cette durabilité est le seul garant pour ne pas dégrader les ressources naturelles. Le deuxième objectif stratégique est lié à la production agricole durable. Le troisième objectif stratégique concerne la lutte contre la pauvreté. Produire durablement, avec des rendements soutenus, permet la génération de plus de revenus et l'atténuation de la pauvreté, voire son éradication. Le quatrième objectif stratégique, vise à ajouter de la valeur à ce qui est produit. Au niveau de la FAO, on ne vise pas seulement à éliminer la faim et la pauvreté et à produire durablement, mais on veut aussi que ces produits soient transformés, préservés, labellisés. L'accès à la nourriture et aux produits issus des exploitations agricoles qui feront l'objet de diverses transformations, qui seront usinés et manufacturés. C'est-à-dire, tout ce que l'on appelle l'agro-processing. Quant au cinquième objectif stratégique, il s'articule autour de la notion de résilience. L'agriculture est sujette à beaucoup d'aléas. Il y a, en effet, les problématiques liées aux changements climatiques, aux catastrophes naturelles, aux crises sanitaires mondiales comme les maladies animales et végétales transfrontalières etc. A travers cet objectif, il s'agit d'appuyer les populations pour qu'elles soient plus résilientes, c'est-à-dire plus habilitées à résister aux chocs, notamment ceux liés aux inondations, aux sécheresses, etc, et ce afin de maintenir la production agricole et les sources de subsistance des populations vulnérables... Quelles sont les régions du monde les plus touchées par la vulnérabilité et l'insécurité alimentaires et dans lesquelles la FAO intervient d'une façon plus ou moins intense? La FAO intervient globalement, dans tous les pays en voie de développement, mais aussi dans les pays développés. Le contenu et la nature des interventions diffèrent. Dans les pays en voie de développement, notamment les pays africains, asiatiques et latino-américains, la FAO intervient dans le cadre des cinq objectifs mentionnés. Dans ces contextes, l'appui concerne la petite agriculture, les petites exploitations familiales qui produisent pour subsister et leur permettre de garantir leur sécurité alimentaire. La production à moyenne échelle et la grande production font aussi l'objet de projets et programmes ambitieux. En plus de fournir de l'expertise et des technologies innovantes, la FAO a pour rôle d'assister et conseiller les gouvernements dans la mise en place de leurs politiques... La FAO est reconnue comme un Forum neutre de discussions et organise en permanence des discussions avec tous les pays, sur toutes les questions liées à l'agriculture, aux ressources génétiques, aux changements climatiques. La FAO est l'organisation de référence en matière d'élaboration de normes et de standards internationaux auxquels les pays en développement adhèrent et ont recours. A titre d'exemple, la FAO participe au Codex avec l'Organisation mondiale de la santé (OMS) qui a mis en place un comité qui travaille sur les standards qui concernent l'alimentation. De plus, la FAO permet de mettre tous les pays du monde en réseau pour s'entraider, chacun en fonction de son niveau technologique, de son potentiel en ressource et de ses capacités de production. Mais, chaque membre a une voix au sein de l'Organisation. Donc, à côté des objectifs stratégiques, la FAO agit sur d'autres axes en fonction des besoins spécifiques de chaque gouvernement? D'abord, dans le processus d'élaboration des objectifs stratégiques, il y a eu une analyse prospective permettant de savoir quelle est la situation de l'agriculture afin d'appréhender sa tendance dans le futur. Sur cette base ont été définis les objectifs sur lesquels la FAO oeuvre à déployer ses interventions dans le monde. Ce cadrage de l'intervention de l'organisation à travers ces cinq objectifs stratégiques permet de clarifier un a priori sur le rôle de la FAO souvent considérée comme une agence qui fournit l'alimentation pour éliminer la faim. En définissant ces objectifs stratégiques, il est aussi question de consolider auprès des pays membres un cadre de partenariat. Ce qui revient à dire que ce partenariat concerne non seulement les gouvernements, mais aussi l'implication du secteur privé, des organisations de la société civile, les ONG ainsi que tous les acteurs intervenant dans le secteur agricole. Cette implication des différentes parties prenantes est seule en mesure de permettre la mise en oeuvre de ces objectifs en tenant compte des besoins des pays membres. La dimension stratégique de ces objectifs insiste sur leur aspect dynamique qui prend en considération, autant que possible, la diversité des situations. A titre d'exemple, des situations particulières peuvent survenir qui nécessitent des options spécifiques et parfois la révision des politiques. Ces situations sont liées à des situations d'urgence provoquées par des conflits, des catastrophes naturelles comme les inondations ou les sécheresses, etc. En plus des objectifs stratégiques, la FAO a développé un autre outil de coordination avec les pays, qui est le «Cadre de programmation pays (CPP)». Il s'agit d'un cadre d'intervention conjoint qui lie la FAO à chacun des gouvernements des pays membres. Ce cadre définit les priorités de chaque gouvernement en tenant compte des cinq objectifs stratégiques. La FAO ne finance pas les projets qu'elle accompagne. Elle apporte seulement un appui technique et d'expertise. Est-ce que cet apport technique et en expertise donne les résultats attendus? Pour atteindre ses objectifs stratégiques et afin de mettre en oeuvre les «Cadres de programmation pays», une collaboration avec les gouvernements, mais aussi avec les acteurs et partenaires qui appuient ceux-ci, notamment les donateurs, le secteur privé, les organisations non-gouvernementales ou d'autres segments de la société, est nécessaire. La FAO n'est pas un bailleur de fonds. Notre rôle est d'appuyer les politiques des pays à mobiliser les ressources auprès des partenariats au bénéfice des pays pour réaliser leurs politiques et programmes agricoles et faire en sorte que l'approche inclusive et participative soit garantie pour qu'ensemble, il soit possible de mettre en oeuvre des projets et des programmes qui ont un impact sur la vie des populations. La FAO a enregistré beaucoup de réussites. L'approche de l'Organisation repose sur deux composantes: le travail normatif axé sur la réflexion et la prospection relatives aux politiques et aux technologies. Le travail de terrain qui porte sur la réalisation des projets en appui aux pays concernés. En tant que centre d'excellence, notre mission est de puiser dans tout ce qu'il y a comme bonnes pratiques dans un pays, ou dans une région à travers le monde et les utiliser après adaptation au contexte, dans le cadre d'un programme dans un pays ou une localité donnée. On a, à titre d'exemple, un mécanisme que l'on appelle «Programme de coopération technique». Ce mécanisme permet à la FAO de mettre à la disposition des pays membres une enveloppe de l'ordre de 500.000 dollars tous les deux ans. Cette enveloppe peut couvrir un ou deux projets. Pour un projet qui coûte 5 millions de dollars, la FAO apporte cette partie à vocation catalytique et le gouvernement pourrait trouver d'autres partenaires ou mobiliser lui-même des financements, pour mettre l'ensemble à une plus grande échelle. Dans le cadre de ce mécanisme, en Afrique du Nord, je citerais un projet sur les oasis. Les gouvernements interviennent de leur côté pour appuyer des investissements ayant démontré leur viabilité. Souvent, des résultats très intéressants sont atteints. Parfois les résultats sont moins concluants, mais toujours remédiables. A titre d'exemple, pour l'agriculture de conservation, il a été constaté que les populations n'étaient pas préparées. Mais des solutions aux problèmes liés à cette agriculture ont été trouvées et ont permis son développement à grande échelle. Nous ne sommes pas un bailleur de fonds, mais, nous sommes en mesure de mobiliser des ressources à travers des partenariats, la sensibilisation politique sur le rôle de l'agriculture dans le monde. Notre rôle est important dans le transfert des technologies et des expertises connues et reconnues dans le monde, soit à travers des échanges Sud-Sud, soit Nord-Sud. Estimez-vous que votre expertise est suffisamment sollicitée par les gouvernements ou avez-vous évalué cette appréciation et intérêt? Une évaluation indépendante du travail de la FAO a été faite en 2005 et la conclusion était que si la FAO n'existait pas, il aurait fallu la créer. Ceci revient à dire que les pays membres ont vraiment besoin de la FAO... Et depuis, la situation a changé? En 2005, l'agriculture n'était pas considérée comme une priorité au niveau des gouvernements. Le secteur agricole a gagné en importance et est devenu dominant pour les économies du monde et même au niveau des échanges sur le plan international en raison notamment de la diminution des ressources naturelles, de la chute des prix des hydrocarbures, et compte tenu des crises mondiales qui ont engendré un ensemble de défis pour les pays. Une prise de conscience s'est opérée quant aux capacités de l'agriculture à résoudre beaucoup de défis, tels que la pauvreté, la malnutrition, à atténuer le chômage, à favoriser la création d'entreprises... et son potentiel à établir une économie plus stable et inclusive. L'agriculture représente toute une chaîne de production, une diversité de produits avec différentes chaînes de valeurs et un réseau mondial de commercialisation. A titre d'exemple, aux Etats-Unis, un seul agriculteur fait vivre avec lui entre 22.000 et 26.000 personnes. Cela montre parfaitement le potentiel agrégeant de l'agriculture et sa dynamique en termes d'offres, de possibilités d'entreprendre et d'investissements. Cela fait 15 ans que je suis à la FAO. J'ai travaillé dans plusieurs pays et dans plusieurs régions, notamment en Afrique et je n'ai jamais senti, partout où j'ai été, que l'on n'avait pas besoin de la FAO. Bien au contraire! Les demandes en appui dans certains secteurs sont même plus importantes que nos capacités. C'est pourquoi d'ailleurs, nous avons créé une base de données et nous nous employons à recruter les meilleurs experts pour répondre au mieux aux demandes croissantes en termes d'assistance technique. Pour répondre donc à votre question, je dois dire qu'il y a une très forte demande auprès de la FAO de la part des pays membres. Nous sommes considérés comme des conseillers de premier plan dans le domaine de l'agriculture parce que nous fournissons des avis indépendants; comme vous le savez, le rôle des conseillers c'est d'être objectifs. Il appartient au gouvernement de prendre les décisions qu'il estime bonnes. De plus, l'attente est telle que nous nous faisons un devoir d'obligation en termes de qualité de ce que nous fournissons comme expertises, comme conseils pour les gouvernements des pays membres dans le domaine agricole. Vous avez parlé de donateurs et de partenaires. Est-ce que la FAO a des partenaires et des donateurs permanents ou ceux-ci sont-ils choisis en fonction des besoins et des conjonctures? Une des raisons premières ayant présidé l'établissement des objectifs stratégiques était de faire en sorte que, tous ensemble- certains pays étant des donateurs- on se focalise sur des points précis afin d'éviter d'être tributaires des changements au niveau des donateurs et des bailleurs de fonds. Deuxièmement, la mobilisation des ressources est spécifique aux contextes. D'une part, certains pays ont des rapports privilégiés avec certains bailleurs ou certains pays donateurs. Ceci peut être expliqué par des prédispositions liées à des contextes politiques, historiques, à des aspects culturels, etc. D'autre part, quelques bailleurs peuvent être intéressés par telle ou telle région, tel ou tel pays, pour différentes raisons. 2D'autres encore peuvent être intéressés par des thématiques précises relatives par exemple aux changements climatiques, à la lutte contre la faim, etc. Notre rôle, c'est d'avoir un éventail de partenaires, d'encourager les partenariats entre les pays mem-bres et de tisser des alliances en fonction des contextes et des prédispositions des gouvernements et des partenaires concernés ainsi que des problématiques posées; et de faire en sorte que ces partenariats soient opérationnels au bénéfice des pays et des populations concernés. On oeuvre pour un partenariat ouvert, mais obéissant à un certain nombre de critères. Nous veillons à ce que les partenaires choisis aient les mêmes objectifs que nous et qu'il n'y ait aucun risque qu'ils altèrent ou remettent en cause l'indépendance de la FAO. Depuis 2012, la FAO, qui traite jusque-là exclusivement avec les gouvernements, a décidé de s'ouvrir sur la société civile. Qu'en est-il en vérité? La FAO est une organisation des pays membres. Les nouvelles orientations encouragent effectivement de consulter et impliquer la société civile. Et, ces progrès de collaboration se font avec une implication du gouvernement. Par exemple, dans le cadre des Programmes de coopération technique, la FAO ne peut pas financer directement une ONG sans l'appui du gouvernement concerné. Le rôle de la FAO est d'encourager les échanges, les discussions et l'appui mutuel. Les gouvernements sont membres de la FAO, aussi, si une ONG soumet une requête, elle est conviée à la transmettre via le ministère de l'Agriculture du pays et c'est le ministre qui saisit notre organisation. Le rôle des ONG est important, parfois déterminant dans la mise en oeuvre des projets. La concrétisation de ce partenariat avec la société civile s'est parfaitement illustrée en 2013, lors de la célébration de l'Année internationale des coopératives. Il a été demandé aux gouvernements d'encourager les agriculteurs à s'organiser en coopératives ou organisations professionnelles afin de mutualiser leurs moyens, avoir plus d'impact au niveau de la production, permettre une facilitation du dialogue avec les autorités et une meilleure prise en compte de leurs décisions pour une mise en oeuvre plus efficiente des politiques gouvernementales. En Algérie, le déficit en expertise dans le domaine de l'agriculture est sans cesse évoqué. Qu'est-ce que la FAO a fait en Algérie et que compte-t-elle faire à l'avenir? La FAO a une longue tradition de collaboration avec l'Algérie. Il y a un ensemble de projets qui ont été mis en oeuvre. Actuellement, un des projets porte sur la protection des massifs forestiers. La FAO a apporté son expertise à l'Algérie dans ce domaine. Un autre projet à développer concerne le contrôle des incendies qui occasionnent des ravages pour cet environnement. En Algérie, l'agriculture enregistre un regain particulier. Des aménagements hydrauliques sont en train d'être mis en place. De vastes périmètres vont être irrigués. Récemment, à l'occasion de la Journée internationale des sols, on a visité une plaine aménagée de plus de 5000 hectares. Ces réalisations ne visent pas seulement à réduire les importations et assurer l'autosuffisance alimentaire, mais aussi à donner des possibilités d'exportation vers l'Europe et l'Afrique. La FAO est prête à accompagner l'Algérie dans ce projet de relance de son agriculture en termes de conseil et d'appui au niveau technique. Le représentant de la FAO en Algérie travaille avec le gouvernement algérien dans le cadre du Cadre programmation pays dans ce sens. Ceci dit, l'Algérie est dotée de cadres de très haut niveau et la FAO oeuvre pour un échange permanent d'expertises. Et en termes de transfert d'expertise, l'Algérie a déjà soutenu plusieurs pays d'Afrique subsaharienne dans la production agricole.