Il en est ainsi lorsqu'il est l'oeuvre pure de lécrivain éducateur et éveilleur de consciences, recourant aux seules sources de ses passions décentes et vers le seul destin qui lui paraît, sans pieux mensonge, plein de la promesse d'une vie humaine heureuse. il en est encore ainsi lorsque le lecteur ne cherche pas à s'amuser, mais à lire pour apprendre et comprendre et à faire aimer la lecture autour de lui. L'homme doit apprendre à aimer, c'est sûr; et d'abord apprendre à lire pour aimer. Aussi, «faire connaître les siens par la lecture», est-ce toujours de cette façon que j'aurais à définir l'impeccable travail de recherche de Mme Djoher Amhis-Ouksel qui, étude après étude, propose avant tout aux jeunes, à nous tous, même à notre âge, surtout à notre âge, un livre, un auteur algérien à la lecture. Cette grande Dame, normalienne, inspectrice de l'enseignement, professeur de lettres françaises à la retraite, et femme auteur de Le Chant de la Sitelle, «pour une symphonie humaine», sa propre biographie, a publié récemment dans sa déjà consistante collection «Empreintes», Mimouni: L'écrivain, témoin et conscience (*). Toute conscience a valeur humaine Rachid Mimouni a souvent dans ses écrits traité de «thèmes dominants», il en est de ceux qui heurtent atrocement toutes les consciences et très spécialement celle de l'écrivain qui se donne tout naturellement - et c'est sa fonction la toute première et la toute essentiellement morale, car humaine - «un rôle de témoin et de conscience». Justement, Mme Amhis-Ouksel s'est proposé d'étudier, dans les ouvrages de l'un de nos écrivains postindépendance à la vertu productive, de singuliers aspects, parfois peu développés chez nos auteurs. Je parle de la façon la plus subtile, la plus intelligente d'exprimer une idée, un fait ou une résolution ferme et engageante, sans toutefois aller à la violence orgueilleuse qui est toujours sans gloire. Quand l'humble écrivain met une part, si modeste soit-elle, de lui-même dans son oeuvre, il n'écrit pas par vanité pour en rajouter à sa besace depuis longtemps trop bourrée - il sait qu'elle est trop lourde et pourtant, il ne se décourage pas: il lutte, il vit, et il disparaît en silence. Et tout se ferme derrière lui... Presque aucun son de ses écrits ne retentit dans la tête de la jeunesse, celle-là même qui sera en charge de la vie du pays. Je pense que mon propos n'a rien d'excessif, En effet, le livre instruit sur l'état de la nation qu'il met en avant par amour, audace et fierté d'être le Livre Algérien, celui de la Nation, et d'autant s'il passe par l'Ecole, par l'Education nationale, afin d'élever l'esprit de nos enfants. Réflexion, sans doute, superfétatoire, car cela va sans dire, mais assurément cela va encore mieux en le disant, - la répétition étant un acte pédagogique et Mme Amhis-Ouksel nous instruit sur nos auteurs par «actes pédagogiques successifs» dans sa collection «Empreintes» qui dit bien ce qu'elle veut dire. Elle met en relief l'indispensable à apprendre chez l'auteur qui n'hésite pas à objectiver les situations et les sentiments: la liberté et la justice, le respect de l'Autre, l'amour de la patrie, les intentions profondes de la colonisation, le sursaut nationaliste, la lutte de Libération nationale, puis sans rien céder aux errements de la politique où qu'elle déploie ses tendances à entraver l'esprit et à dévier la raison,... Et Mme Amhis-Ouksel a évidemment trouvé la plus excellente des épigraphes pour conforter son analyse des oeuvres de Rachid Mimouni sous le titre: Mimouni: L'écrivain, témoin et conscience. Et c'est celle-ci: «Dis: Gens du Livre, n'exagérez pas en votre religion! La vérité rien d'autre! Ne suivez pas les passions d'un groupe d'hommes qui déjà se sont égarés et qui ont égaré beaucoup de monde, et qui se sont égarés dans la droiture du sentier. (Sourate Le plateau servi, verset 77).» Autrement dit, toute conscience a valeur humaine... Rachid Mimouni a mené un combat d'idées pour une Algérie fraternelle, intelligente et heureuse; il voulait sauver «L'honneur de la tribu»... Par son éducation qui l'a préparé à son avenir et certainement par sa formation en «sciences commerciales» qui l'a confronté à l'évaluation tous azimuts, il ne pouvait être autre auteur que d'«une oeuvre engagée» pleinement aux côtés de son peuple qui subit, observe Mme Amhis-Ouksel, «les dérives qui allaient, après l'indépendance, engager le pays sur les voies les plus périlleuses. Il considérait que l'ordre humain ne peut exister que dans le respect mutuel franc et constant qui est la première règle, comme on dit aujourd'hui, du «vivre ensemble» dans un pays qui se veut libre, indépendant et progressiste. Si l'Ecole Algérienne s'inspirait du Livre Algérien, nos écoliers seraient demain des travailleurs intellectuels et des travailleurs manuels qui auraient l'ambition de leurs lectures et le plaisir de réaliser la grande idée qu'ils se font de leur pays. Hélas! la vertu ne préserve pas de l'injustice Afin de donner à ses lecteurs «le plaisir de lire» cet auteur et ses ouvrages, Mme Amhis-Ouksel en a rédigé une perspicace présentation: celle de Rachid Mimouni et celle de chacun de ses ouvrages de référence. Dès l'abord, le bon lecteur - qui sait lire - remarque le caractère très attirant et très révélateur du symbolisme exprimé par le titre, ainsi dans l'ordre de leur parution: Une paix à vivre, Le printemps n'en sera que plus beau, Le fleuve détourné, Une peine à vivre, Tombeza, L'honneur de la tribu, La ceinture de l'ogresse (nouvelles), La malédiction, Chroniques de Tanger, et des Annexes - Sujets de réflexion, à la fois d'éveil et de suite pour savoir et comprendre. Ce sont des textes très courts, des avis, des jugements d'auteurs différents sur l'oeuvre de Rachid Mimouni, des évocations dont ceux de son ami Tahar Djaout, et sur des thèmes tout aussi différents dont, par exemple, celui par lequel Jean-Paul Sartre rappelle le rôle de l'écrivain: «Le romancier doit rendre compte du réel tel qu'il l'a vécu, dans l'obscurité, l'impuissance et l'inquiétude» et Rachid Mimouni qui a eu cette poignante déclaration: «Si un écrivain ne peut pas écrire, il se sent incomplet, c'est comme s'il lui manquait une partie de lui-même.» Le traitement minutieux, objectif et précis des ouvrages de références cités est le même pour chacun d'eux. Mme Amhis-Ouksel s'en explique clairement: «Je vois l'écrivain dans son rôle de témoin et de conscience. C'est celui qui, à travers le miroir de son art, dit ce qu'il est et dénonce les injustices, par les abus de pouvoir, les situations inaccessibles, la corruption, tous les maux de la société.» En somme, à raison, Mme Amhis-Ouksel, parlant de Rachid Mimouni, et en quelque sorte, en filigrane, d'autres écrivains algériens, souligne les «positions courageuses prises [par lui, par eux] face aux forces de la régression et de l'obscurantisme.» En voici les étapes: le titre de l'oeuvre - Parcours de lecture (avec des intertitres explicatifs) - Ce qu'il faut retenir (un «encadré» suit le développement des thèmes les plus marquants et les mettant en relief), puis une conclusion didactique à caractère pédagogique et fortement culturelle vient à l'esprit vif du lecteur. Des repères, qui excitent la curiosité et font appel au raisonnement, apparaissent judicieusement pour fixer l'intérêt. On peut noter alors ici ou là: «Etat de siège», «Le destin de Riga, le berger», «Le Ramadhan», «Rêves d'adolescents», «Entre rêve et réalité», «Le poète», «Un titre symbolique», «Le camp», «L'écrivain», «Déchu mais pas vaincu», «L'académie», «Dans la cour des grands», «Avant un homme de pouvoir, il y avait un homme», «Les mots sont une arme», «Hypocrite société», «La parabole du saltimbanque», «Une histoire de train peut en cacher une autre», «La malédiction». On peut conclure avec Mme Djoher Amhis-Ouksel, concernant le roman Le fleuve détourné et plus généralement aux oeuvres de Rachid Mimouni: «Dans ce roman, très dense, bien structuré, les mots, sous la plume de Rachid Mimouni ont un sens très fort. L'intention de l'auteur est de dépeindre avec le plus d'objectivité possible la situation de l'Algérie après son indépendance. Sensible à tout ce qui touche un pays qu'il aime, il voit, il a la prescience des dérives qui menacent le pays.» Espérons que l'on saura gré à Mme Djoher Amhis-Ouksel qui, depuis quelque temps avec sa collection «Empreintes» défend le Livre Algérien porteur d'analyses justes, utiles, éducatives à notre société jalouse de son patrimoine culturel, - ce qui me réjouit profondément, car moi-même déjà depuis 1962-1963, j'essaie de porter haut le Livre Algérien dans la revue Atlas Algérie, puis dans le journal Le Peuple, puis El Moudjahid, puis L'Expression,... (*) Mimouni: L'écrivain, témoin et conscience par Djoher Amhis-Ouksel. Casbah Editions, Alger, 2015, 123 pages.