Sonatrach est l'unique mamelle de l'Algérie, après le rétrécissement de l'agriculture, tant en termes de productivité que de terres exploitées et de main-d'oeuvre, après le déclin programmé de l'industrie nationale, les hydrocarbures restent l'unique ressource du pays. A ce titre, Sonatrach suscite les appétits les plus fous, et le projet de loi sur les hydrocarbures réveille tous les démons. Les questions les plus récurrentes sont relatives au futur statut juridique de la Sonatrach, au regard de la nouvelle loi: «N'est-ce pas une manière de privatiser Sonatrach?», demandent les travailleurs. Les pouvoirs publics donnent une réponse à la Bretonne: «La loi ne parle, ni de privatisation, ni de restructuration, ni d'ouverture du capital (...). Si le conseil d'administration décidait, un jour, d'ouvrir le capital de Sonatrach, un décret présidentiel suffirait.» Dans le recueil des questions-réponses édité par le ministère de l'Energie et des Mines, il y a deux catégories de questions: celles techniques, argumentées, prospectives des cadres de la Sonatrach, et celles focalisées sur l'immédiateté, sans ancrage dans la réalité commerciale, de la Fédération du pétrole et du syndicat national Sonatrach, lui-même divisé. La levée d'option de 25% que la loi accorde à Sonatrach a focalisé, avec les modalités de rémunération des contrats, l'attention des cadres. Ils s'interrogent sur «le rôle et les prérogatives des agences (AL Naft, autorité de régulation de l'électricité et du gaz, autorité de régulation des hydrocarbures». En outre, les cadres de Sonatrach, que ce soit le directeur général ou des régions (Hassi Messaoud et Hassi R'mel), ceux de l'aval (Skikda, Béjaïa et Arzew) se préoccupent de lever les entraves à la venue des compagnies étrangères: «Dans le nouveau système, n'existe-t-il pas un risque de décourager les compagnies étrangères?», demandent- ils, tout en s'inquiétant de ce que les pouvoirs publics n'aient pas «prévu un statut particulier pour le groupe Sonatrach». Les cadres feront une projection ciblée sur la réforme fiscale, en tant qu'instrument de collecte des redevances, «plutôt que la création d'une agence dont les fonctions sont déjà assurées par diverses institutions du secteur» et appellent à «une révision de la loi sur le crédit et la monnaie qui permettrait à Sonatrach de plus grandes possibilités de lever des financements extérieurs». La transparence reste la principale préoccupation des cadres de Sonatrach: «Comment se matérialise la transparence prônée par le projet de loi et qui lance les appels d'offres?» Comme toujours, cette question donnera lieu à des contradictions entre les discours et les actes: «Après publication d'un avis d'appel d'offres dans la presse», répondent les pouvoirs publics. Mais lors d'une conférence de presse animée, samedi dernier, M. Chakib Khelil présentera aux journalistes le Baosem, bulletin qui réunira tous les appels d'offres du secteur de l'énergie et des mines. «Nous aviserons les soumissionnaires de la parution de ce bulletin, en tant que de besoin, par voie de presse», précisera le ministre. C'est AL Naft, agence nationale de valorisation des ressources naturelles en hydrocarbures, qui lancera les appels d'offres. Par ailleurs, des frictions sont apparues à l'intérieur de la fédération, entre un groupe à la démarche strictement syndicale, et une tendance plus politique, plus préoccupée par qui est à la tête de Sonatrach que par la convention collective. Au fil des escarmouches qui émaillent le quotidien de la direction centrale des affaires sociales, du conflit ouvert entre «le P-DG et le syndicat national Sonatrach», la nouvelle loi reste à l'état d'avant-projet et ce, depuis le 2 janvier dernier, date de sa première présentation. Hier, la Fédération nationale des travailleurs du pétrole, du gaz et de la chimie (Fntpgc) s'est fendue d'un communiqué qui augure d'une rentrée sociale effervescente. «Les deux parties (administration centrale et syndicat, Nldr) ont convenu de constituer un groupe de travail mixte pour revoir les articles, dont le contenu suscite une préoccupation majeure de la Fntpgc.» En d'autres termes, exclure toute possibilité future d'ouverture du capital de Sonatrach à des intérêts privés, nationaux ou étrangers. Le communiqué interpelle M. Chakib Khelil, en tant que président par intérim de Sonatrach, pour «revoir la situation déplorable imposée au niveau de la direction centrale des affaires sociales de Sonatrach...». La Fédération termine par une menace à peine voilée, puisqu'elle «soutient et soutiendra toutes les démarches que le Syndicat national Sonatrach a entreprises et entreprendra pour faire aboutir sa revendication légitime», qui consiste en gros à maintenir le statut de Sonatrach dans le nouveau cadre législatif et à «la doter d'une sorte de préemption» sur les gisements et les investissements les plus lucratifs au titre d'instrument de la politique de l'Etat. Autant nager à contre-courant. Nous assistons, autour du projet de loi sur les hydrocarbures, à une lutte féroce entre deux tendances principales: les partisans du statu quo, opposés à tout changement qui remettrait en cause l'opacité de la redistribution de la manne pétrolière, contre les tenants d'une libéralisation, appuyés par certaines grandes transnationales et plusieurs gouvernements occidentaux. Entre les deux blocs de requins, navigue la compétence tranquille de ceux qui produisent la richesse: l'option des cadres et des travailleurs du groupe Sonatrach constitue une troisième voie qui a le mérite de l'efficacité technique. Loin des brumes poisseuses d'une politique qui ne dit pas son nom: prébende.