Le ministère délégué chargé du Développement rural, lance, à partir de cette année, l'un des chantiers, de loin, les plus intéressants pour plus de 40% de la population algérienne. Basée prioritairement sur l'élément humain, la Stratégie nationale de développement rural durable, ambitionne, ni plus ni moins, d'apporter une méthode de travail en rupture totale avec tout ce qu'a connu le monde rural en Algérie. S'appuyant sur les Projets de proximité de développement rural, véritable colonne vertébrale de ce lourd chantier, la nouvelle stratégie du ministère s'articule sur le concept de démocratie participative. C'est-à-dire que dorénavant, le développement des zones enclavées est d'abord l'affaire des populations qui y vivent. Un seul facteur est déterminant dans la réussite ou l'échec de l'initiative ministérielle: c'est l'homme. L'Algérie profonde est-elle en mesure de relever le défi du développement à la base? Le ministre en est convaincu... L'Expression: Votre département va mettre, dès l'année 2005, la Stratégie nationale de développement rural durable (Sdrd). Peut-on savoir comment est née cette initiative et quelle en est la philosophie? M.Rachid Benaïssa:Notre référence de base est inscrite dans les différentes interventions du président de la République depuis l'année 2000. Notre démarche en fait, a été principalement une réflexion sur la multifonctionnalité de l'agriculture, la nécessité de travailler dans le sens d'un développement équilibré et équitable de l'ensemble du territoire national, et faire participer les populations dans la réalisation de leurs propres projets. L'idée mère en fait, est que le projet durable se doit d'être accompagné par les pouvoirs publics. Ce sont autant de références fortes que nous retrouvons dans le discours, de même que dans le discours international, que ce soit au niveau du Nepad ou du Dialogue méditerranéen. En d'autres termes, la Stratégie nationale de développement rural durable apporte un élément de réponse dans le cadre de la bonne gouvernance locale. Ce sont là les premières inspirations de notre travail. Le deuxième motif de l'élaboration de notre stratégie vient du fait que depuis les années 70, l'Algérie avait un fort besoin d'un document de référence sur les concepts, les méthodes et les approches que nous devons adopter pour assurer un développement rural harmonieux. La troisième source d'inspiration du travail accompli est relative à une expérience personnelle des trente dernières années, mais également des multiples visites sur le terrain, durant lesquelles nous avons eu des concertations avec les populations et les autorités locales concernées par la nouvelle stratégie. Nous avons également consulté de nombreux experts nationaux et internationaux, au même titre d'ailleurs que d'organismes onusiens, à l'image du Pnud, de la FAO ou de la Banque mondiale. La série de larges consultations que nous avons menées entre également dans le cadre de la capitalisation des expériences récentes que nous avons entreprises, dans le cadre du Plan national du développement agricole (Pnda) et le Plan national de développement agricole rural (Pndar) qui, du reste, ont donné des résultats assez encourageants. Donc la Sdrd est venue pour donner un caractère durable à toutes les initiatives des pouvoirs publics en direction du développement rural. Aussi, à la veille du lancement d'un nouveau programme sur les cinq prochaines années, nous estimons essentiel de mettre en place une stratégie qui nous permette de coordonner l'ensemble des interventions, des programmes et des actions dans des espaces difficiles, vastes et diversifiés. Notre ambition est de dégager des moyens qui puissent s'adapter à cette diversité, tout en faisant en sorte que les bouleversements que connaît notre pays ne débouchent pas sur une marginalisation des populations rurales. Nous voulons, au contraire, donner à ces populations la possibilité de s'amarrer aux mutations d'ensemble que vit le pays pour qu'elles participent pleinement au développement national. Il est clair, cependant, que les enjeux sont énormes et la mécanique est difficile à mettre en oeuvre, puisqu'elle fait appel à la participation citoyenne. Il faut donc disposer de mécanismes de mobilisation, de concertation, de mise en synergie entre la population elle-même et les autorités locales. L'objectif est que les projets que nous voulons ascendants s'intègrent dans le mode de vie rural et deviennent par conséquent viables, ce qui aura pour résultats la préservation de l'environnement, la stabilité des populations et l'amélioration du niveau de vie des ruraux. La stratégie a donc plusieurs facettes. Il y a d'abord la dimension politique qui tire son essence du discours du président de la République qui disait, rappelez-vous à Laghouat, que le développement rural n'est pas un slogan, mais une construction qu'il faudra réaliser de bas en haut. Nous mettons en application le discours du chef de l'Etat. La Sdrd est un premier résultat, mais ce n'est que le début d'un long processus. L'autre facette de cette stratégie est qu'elle fait partie intégrante d'un ensemble de mécanismes qui se mettent graduellement en place. L'aménagement du territoire qui tente de créer les conditions d'une délittoralisation du pays, le programme de décentralisation qui entre dans le cadre de la réforme des structure de l'Etat, le concept de démocratie participative qui privilégie le dialogue avec les citoyens pour la concrétisation des projets, sont autant d'initiatives publiques qui seront renforcées par les outils de la Sdrd. La stratégie que mettons en place s'inscrit donc, par anticipation, dans la nouvelle dynamique nationale. La Sdrd s'appuie sur les Projets de proximité de développement rural (Ppdr), véritable colonne vertébrale de votre stratégie. Peut-on savoir comment elle fonctionne? De tels projets concernent des communautés rurales qui désirent se mettre en mouvement pour améliorer leurs conditions de vie et leurs revenus. L'originalité de cette démarche tient du fait que les encadreurs ou les animateurs de ces activités ont pour mission de rapprocher l'ensemble des dispositifs de création d'emplois vers ces populations, dans une cohérence à même de permettre la concrétisation de conditions durables de travail. Cette façon de procéder crée une rupture avec les anciennes méthodes, puisque l'objectif premier est de nous adapter à une demande qui vient de la base. L'administration et l'ensemble des bailleurs de fonds seront tenus de fonctionner selon un nouveau schéma. Et pour cause, un Ppdr se construit sur la base d'une idée émanant des populations selon leurs besoins. Ledit projet est validé par l'exécutif de la wilaya après avoir traversé plusieurs phases, dont le but premier est de lui assurer une maturité, mais surtout une durabilité. Cette période dure quatre mois. Les réalisations publiques sont prises en charge par l'Etat et le montage financier du projet en lui-même revient aux promoteurs avec le soutien des dispositifs existants tels l'Ansej, le Pnda et le Pndra. Il est entendu que le Ppdr s'adresse seulement aux populations isolées ou celles qui veulent revenir sur les terres qu'ils ont quittées durant la période d'insécurité. Cela dit, nous avons pré-identifié sur la base d'une série d'enquêtes que nous avons menées tout le long de l'année 2003 et début 2004, un potentiel de 13.000 projets qui pourraient toucher 900.000 ménages, donc une population de 4 à 5 millions d'habitants. Je tiens à signaler également que nous avons déjà lancé un millier de projets pilote, cela en plus d'une tournée que nous avons faite conjointement avec le ministre délégué chargé des Collectivités locales, à travers laquelle nous avons informé les autorités locales des objectifs de la Sdrd. La réaction des populations est quant à elle très encourageante. Le concept d'accompagnement est prédominant dans cette nouvelle démarche. Cela suppose une armée de fonctionnaires prêts à écouter les citoyens et les aider à monter leurs propres projets. Pensez-vous que l'administration algérienne est apte à endosser cette stratégie? D'abord, j'aimerais clarifier une question, sur la base de mon expérience personnelle et des visites que j'ai effectuées. J'estime que nous avons beaucoup de jeunes dans l'administration, dans les structures para-publiques ou au sein de la société civile qui sont mus d'une volonté de participer à ce type de dynamique. Nous avons reçu beaucoup de réactions de la part d'étudiants, de professeurs d'université qui, à la lecture de la Sdrd, ont émis le voeu de s'intégrer à cette nouvelle stratégie. Nous sommes sollicités pratiquement tous les jours. Il y a donc une grande volonté de bien faire, d'autant que les concepts que nous mettons à exécution sont clairs et ont été maintes fois rappelé par le président de la République. Cette sollicitation est déjà un premier pas dans la mise en place de la stratégie. Il reste à renforcer les capacités techniques de ces fonctionnaires par la formation et l'apprentissage. Nous sommes en contact soutenu avec des universités et des centres de formation professionnelle. Notre but est de faire émerger dans chaque wilaya des groupements d'appui au développement rural, constitués de leaders d'opinion, d'universitaires et de fonctionnaires désireux de s'intégrer dans la dynamique nouvelle. Ces groupements auront des mission d'écoute, de conseil et d'organisation. Votre stratégie met en avant le concept de démocratie participative, mais l'on constate par ailleurs qu'elle ne laisse pas de place aux élus locaux... Ce n'est pas vrai. La place des élus est centrale, pour peu qu'on comprenne certaines choses. Toute APC dispose d'un budget. La décision appartient aux élus. Ce qui leur est demandé dans le nouveau dispositif, c'est qu'avant de prendre une décision, ils discutent avec la population et la société civile. Dans la même commune, il y a également une multitude d'autres dispositifs qui sont au service des populations. J'imagine qu'un président d'APC devrait être au courant de tous les dispositifs qui existent et qu'il les mette en place au profit de la population qui l'a élu. Les maires peuvent activement participer au Ppdr, pour peu qu'ils comprennent leur rôle, comme cela se fait d'ailleurs dans tous les pays du monde. Les exemples ne manquent pas, l'on a vu à travers la télévision des maires de pays étrangers faire des milliers de kilomètres pour rapprocher des dispositifs d'aide à l'emploi. En fait, ce que nous mettons en place est une dynamique d'ensemble et je peux difficilement comprendre qu'un président d'APC se désintéresse de dispositifs qui peuvent régler des problèmes. La Sdrd entend apparemment apporter un changement profond dans les méthodes de gestion des espaces ruraux. Une telle démarche va-t-elle se traduire par un autre bouleversement, celui des mentalités façonnées par les différents traitements imposés aux populations rurales quatre décennies durant (révolution agraire, autogestion...)? Ce type de classement des citoyens ne me convient pas. Je ne suis pas en phase avec cette façon d'aborder la problématique. Les ruraux sont des Algériens qui vivent dans des espaces sains, vastes, diversifiés. Ils doivent avoir confiance en eux-mêmes, en leurs atouts. Il est important qu'ils sachent que la politique menée n'a d'autre objectif prioritaire que de mettre à leur disposition tous les outils que la communauté nationale développe, pour les utiliser aux fins d'améliorer leurs conditions de vie et de travail. Dans cette logique et avec le développement des technologies, le concept d'isolement perd peu à peu de son sens et l'espace rural est à même de constituer, dans un proche avenir, un pôle d'attraction des populations citadines, comme cela existe dans d'autres contrées. Cela dit, le monde rural est porteur de valeurs dont nous sommes fiers et qu'il s'agira de sauvegarder. Je tiens à signaler, par ailleurs, que les Algériens du pays profond participent activement à la revitalisation des espaces ruraux, lesquels sont partie intégrante de la politique nationale d'aménagement du territoire. Ce n'est donc pas une question de mentalité. Le problème est surtout au niveau de l'efficacité des politiques de développement et la Sdrd apporte un élément de réponse dans un ensemble national en pleine mutation. Ces dernières années, on a constaté une tension au sein du monde rural. Des violences cycliques sont enregistrées un peu partout dans le pays. Comment expliquez-vous cette violence et pensez-vous que la Sdrd est à même de constituer une solution à ce phénomène? La stratégie qui se mettra en place sur un temps plus ou moins long, en fonction de notre capacité d'intérioriser et de s'approprier les concepts à tous les niveaux, aura pour mérite de codifier le dialogue et d'anticiper un certain nombre de dysfonctionnements. Elle participera, au même titre que d'autres actions initiées par les pouvoirs publics, à corriger les imperfections constatées sur le terrain. Cependant, certains actes de violence ne règlent pas les problèmes soulevés. En tout état de cause, nous avons eu des exemples de violence évités grâce à l'établissement du dialogue entre les populations et les élus. Cela dit, nous n'avons pas la prétention de régler tous les problèmes d'un coup, mais nous avons bon espoir que la stratégie amènera un plus au monde rural, ce qui apaisera sans doute certaines tensions.