La lutte du bien contre le mal est inquiétante quand elle chausse des godillots. Nous sommes en effet habitués, sans les assimiler une fois pour toutes, aux leçons de l'histoire générale des empires et des colonies dont les objectifs sont toujours de gagner un espace vital, d'occuper des territoires, de dominer des peuples et de tirer profit des richesses naturelles des pays conquis et, vanité des vanités, de civiliser les populations barbares soumises...L'histoire serait-elle un éternel recommencement ou tout simplement un commencement qui n'en finit pas de commencer? Le gros ouvrage Science, foi et désenchantement du monde(*) de Chems Eddine Chitour nous le rappelle avec certes des nuances mais quand même sans ambages aussi. Effectivement, le défi de l'homme reste l'homme; au reste, c'est, pour être sincère et lucide, le seul combat singulier qui incite au vrai courage. Et puis est-il un combat sans violence, sans contre-violence, pour abattre le mal? La science, la religion, la politique, même l'art ou plutôt les arts - c'est-à-dire toute la sagesse humaine - n'ont pas réussi à raisonner l'homme. Cette réflexion de l'homme sur son propre avenir demeure inépuisable et malheureusement... sans prise directe sur la philosophie de l'existence qui s'évertue à prôner l'altérité. C'est ce que Chems Eddine Chitour, en pédagogue moderne, essaie d'expliquer à grands renforts de documents, d'analyses et de commentaires à ses lecteurs et, par bien des clins d'oeil algériens, à ce chef d'Etat de la rive nord de la commune Méditerranée et, à l'évidence, à d'autres chefs d'Etat des pays européens. C'est que l'argumentation du professeur Chitour se fonde, peut-on dire, sur l'efficacité des convictions inspirées à la fois par la pertinence et l'évolution de la science, par la foi profonde et généreuse de la religion et par le besoin fort et urgent de sauver l'homme de la catastrophe de son propre anéantissement. Les questions, si justes et si audacieuses et si simples et si complexes qu'elles soient, posées par l'auteur de l'ouvrage, donnent le vertige au lecteur, tant le discours paraît touffu, brillant de mille références (y comprises celles récoltées grâce à Internet), inondé de spiritualité et surtout animé de la passion fougueuse d'un chercheur terriblement curieux. «Dieu», «Homme» et «Vérité» constituent ici le souci d'un questionne-ment charpenté en forme de ressort où chaque spirale est une sorte de pensée et de réflexion, un départ d'idée et un retour de révision, parfois une pause. «En ce début du vingt et unième siècle, affirme Chems Eddine Chitour, l'homme quelle que soit sa naissance est en pleine interrogation, les modèles de consommation et de «liberté» ne répondent plus à son angoisse. Athée ou croyant, la sensation de quelque chose de transcendant lui est de plus en plus nécessaire.» Et citant le grand astrophysicien Hubert Reeves, il écrit: «Dieu n'est plus ce qu'il était. C'est tout ailleurs que Dieu maintenant se situe. On le rencontre au niveau des interrogations et plus au niveau des certitudes. On le retrouve mêlé à nos angoisses et à nos questions sur le sens profond des choses.» Or pour faire «le bonheur de l'Humanité», le comble du paradoxe est que, dans le monde dit libre d'aujourd'hui, les forces du bien, oublieuses de ses devoirs universalistes, mobilisent des armes infernales pour rendre au mal son mal. Là ne devrait-on pas plutôt, et tout à la fois, instruire la conséquence de la tragédie surréaliste du 11 septembre 2001 et relancer un grand débat sur les enjeux de l'existence et sur l'urgente nécessité ad vitam aeternam d'amener «les êtres doués de raison» à ne jamais vider la personne humaine de sa dignité? (*) Science, foi et désenchantement du monde de Chems Eddine CHITOUR OPU, Alger, 2002, 447 p.