Ancien ministre du gouvernement Hamrouche, ancien député FFS, Abdesselam Ali Rachedi est, de fait, un observateur averti de la scène nationale. Dans l'entretien qu'il nous a accordé, il revient sur le projet de révision de la Constitution et la situation économique, à l'aune de la baisse des prix du baril de pétrole. L'Expression: La révision de la Constitution vise, selon Ahmed Ouyahia, à instaurer un Etat de droit. Qu'en est-il selon vous? Abdesselam Ali Rachedi: Ni les principes constitutionnels imposés d'en haut ni les pratiques du régime ne permettent de croire à l'existence d'un Etat de droit. En principe, tout texte constitutionnel qui n'émane pas de la souveraineté populaire ne peut en aucun cas être considéré comme Loi fondamentale. Il se trouve que depuis l'Indépendance, chaque pouvoir de fait impose une «Constitution» à sa convenance, alors qu'en théorie, il revient à une Assemblée populaire nationale constituante souveraine d'élaborer un projet de Constitution qui sera soumis par la suite au suffrage universel. Toutes les Constitutions promulguées depuis l'Indépendance énoncent des principes généraux d'un Etat de droit mais soumettent leur mise en oeuvre au domaine de la loi, c'est-à-dire dans les faits à des oukases émanant du pouvoir exécutif du moment, vidant ainsi de tout contenu les principes énoncés dans la Constitution. De plus, la promulgation d'une nouvelle Constitution, censée marquer une certaine ouverture, laisse intact tout l'arsenal de lois scélérates déjà en vigueur, même si ces lois sont manifestement contraires à la nouvelle Constitution (article 179). Ainsi, le Code de la famille, qui institutionnalise l'infériorité juridique de la femme, demeure en vigueur alors que la Constitution affirme les principes d'égalité entre tous les citoyens et interdit toute discrimination selon le sexe (article 29). Des lois organiques, prévues explicitement par la Constitution, n'ont jamais été promulguées permettant ainsi l'arbitraire le plus total, y compris en matière de libertés. Exemples: loi organique sur l'Etat d'urgence et l'Etat de siège (article 92), loi organique relative à la Sécurité nationale (article 123). De plus, des dispositions constitutionnelles de la plus haute importance, telles celles concernant la maladie du président (article 88) se sont révélées inapplicables, mais aucune révision n'est envisagée pour les rendre opérationnelles. Le pouvoir parle d'Etat de droit, mais dans la réalité, c'est le règne de l'arbitraire. L'officialisation de tamazight a été interprétée par plusieurs segments de l'opinion publique nationale comme étant «la dernière cartouche du gouvernement». Le pouvoir a-t-il épuisé toutes ses ressources? L'officialisation de tamazight est une concession de pure forme. Si tamazight est bien langue nationale et officielle (article 3 bis), au même titre que l'arabe, seul l'arabe est langue officielle de l'Etat. De plus, tamazight ne sera érigée en langue officielle de fait qu'au bout d'un temps indéterminé. Mais la conversion du pouvoir est-elle sincère car à la lecture de l'article 178, seul l'arabe est à la fois langue nationale et officielle? Il y a manifestement une volonté de duper l'opinion avec une promesse qui ne sera en réalité jamais concrétisée. Faut croire que ce pouvoir est vraiment dos au mur pour n'avoir plus rien à offrir que cette promesse fallacieuse. Les questions de langue et d'identité sont des questions éminemment démocratiques et leur résolution est incompatible avec l'existence d'un régime national-populiste autoritaire qui a toujours pour programme la généralisation de l'utilisation de la langue arabe (article 3). Le gouvernement semble surpris par la chute continue des prix du baril de pétrole. Benkhelfa l'a reconnu hier. Cette nouvelle donne va-t-elle, peut-être, pousser le gouvernement à aller, dans un premier temps, vers une LFC plus libérale et, à moyen terme, engager une transition en bonne et due forme vers la démocratie et l'économie de marché? Nous sommes dans un régime rentier, totalement dépendant des hydrocarbures et en même temps un régime dirigiste, hostile à l'économie de marché qui, à terme, le menacerait dans son existence même. L'impasse budgétaire, que j'ai personnellement prévue dès 2012, n'est pas due fondamentalement à l'effondrement du prix du baril, même si cela a contribué à en accentuer la gravité. Depuis l'arrivée de Bouteflika, tous les budgets sont structurellement déséquilibrés avec des dépenses qui croissent plus vite que les recettes. Le déficit potentiel étant masqué par le prélèvement sur le Fonds de régulation des recettes (FRR) qui n'avait pas été créé pour combler un déficit délibéré mais pour le cas où le prix du baril passerait en dessous du prix de référence de la loi de finances (37 dollars). La frénésie dépensière, quels que soient les arguments avancés par le pouvoir, ne s'explique en réalité que par des raisons politiques. Le pouvoir étant par essence illégitime, il n'a pas d'autre choix que de se doter d'une légitimité de substitution par l'achat de la paix sociale. Le contrat implicite étant: «Je vous accorde des droits sociaux et, en contrepartie, je vous confisque vos droits politiques.» Ajoutez à cela toutes les clientèles que ce même pouvoir doit entretenir: famille révolutionnaire, souteneurs de tous bords, affairistes profitant de leur proximité avec les décideurs, nomenklatura avide de privilèges et de passe-droits... L'impasse budgétaire n'est que la conséquence de la nature du régime et l'effondrement du prix du baril ne fait que rendre plus visible cette impasse. Il est donc inimaginable que le pouvoir, premier responsable de cette impasse, aille jusqu'à se remettre en cause pour tenter d'en sortir. Le pouvoir est en réalité dans une logique de maintien du statu quo avec un seul objectif: tenir en puisant dans le FRR, dans l'espoir d'un retournement du marché. N'étant ni dans une logique politique ni dans une logique économique, le pouvoir ne peut que s'inscrire dans une logique comptable en tentant d'augmenter les ressources budgétaires, de manière factice, par la dévaluation permanente de la valeur du dinar et de comprimer les dépenses par des injonctions administratives. Ces mesures seront donc forcément inefficaces et conduiront inéluctablement à une paupérisation accentuée, y compris parmi la classe moyenne. L'opposition tient à son projet de transition démocratique et le pouvoir ne veut pas renoncer à celui de réviser la Constitution. Se dirige-t-on vers une impasse ou vers une décantation? Il n'y aura pas de transition vers la démocratie, s'il n'y a pas un changement politique préalable. Or, l'option, contre toute attente, pour un quatrième mandat, est la preuve que le pouvoir a définitivement opté pour le maintien du statu quo. Ce pouvoir rejette tout dialogue, tout compromis et tout consensus, à même de conduire à un changement pacifique et ordonné. L'opposition se berce d'illusions si elle croit pouvoir imposer ses vues en prêchant la bonne parole. En conséquence, il n'y a plus que la rue pour imposer le changement et le pouvoir en portera l'entière responsabilité. Nous sommes finalement dans une situation qui n'est pas sans rappeler celle de l'hiver 1985-1986 et qui a conduit aux événements d'Octobre 1988, sauf que les mesures d'ouverture mises en oeuvre dans le sillage de ces événements et ayant permis au régime de se renouveler, ne seront plus de mise.