Le meurtrier de Larbi Ben M'hidi et de Ali Boumendjel est jugé pour ses écrits. Ses crimes sont malencontreusement amnistiés. Le procès du général Paul Aussaresses, qui s'est ouvert, hier, devant la 17e Chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Paris, ne gagnera certainement pas une envergure historique. Le tortionnaire qui a avoué, par lui-même, dans son livre Services spéciaux. Algérie 1955-1957, avoir longuement pratiqué toutes sortes de tortures sur ses prisonniers durant la Guerre d'Algérie, n'est certes pas jugé pour ses effroyables actes mais, ironie du sort, pour «complicité d'apologie de crimes de guerre». Il comparaît aux côtés de ses deux éditeurs, Olivier Orban, P-DG des éditions Plon et Xavier de Bartillat, directeur des éditions Perrin, poursuivis, tous les deux, pour «apologie de crimes de guerre». Le procès se poursuivra jusqu'à demain, mais il est fort peu probable que la sentence soit sévère. Le général sera, au pire des cas, puni d'une peine maximale de cinq ans de prison et 300.000 FF d'amende. Son avocat, Me Gilbert Collard, demeure, par ailleurs, plus optimiste. Le procès ne tient pas car, selon lui, «pour qu'il y ait apologie, il faut qu'il y ait eu un crime. Or le général Aussaresses n'a jamais été condamné pour crime. Ensuite, faire l'apologie sous-entend que l'on enjoigne d'autres personnes à commettre un crime. Clairement, M. Aussaresses a toujours dit qu'il ne souhaitait à personne de faire ce qu'il a fait». Ce dernier argument pourrait fort bien rendre nulles les accusations de la partie civile. Encore une absurdité de plus, dira-t-on ou, du moins, voilà qu'on invoque des raisons absurdes pour qu'on se détourne d'un procès cynique et aberrant ! Voilà un homme qui avoue avoir commis des crimes contre l'humanité, les justifie, les dévoile en publiant un livre qui en fait les louanges et qui n'est, par ailleurs, accusé que de complicité parce que la loi française sur la presse prévoit que lorsque les éditeurs peuvent être mis en cause, «les auteurs sont poursuivis comme complices». Aussaresses n'a même pas à s'inquiéter des poursuites pénales car ses forfaits sont amnistiés du fait de la loi de 1968 qui gracie toutes les exactions commises durant la Guerre d'Algérie. Une guerre qui, jusqu'à une date très récente, était encore désignée en France sous le nom, plus équivoque, d'événements. Les associations qui se sont constituées partie civile souhaitent, faute de mieux, «une sanction morale». Une façon d'amener les démocraties à «dire qu'il existe des choses qu'on ne peut pas faire», déclarait Me Leclerc, avocat de la Ligue des Droits de l'Homme. Sauf que dans ce cas précis, il ne s'agit nullement d'amener les démocraties à dire mais plutôt à faire. Faire en sorte que les criminels soient jugés pour les crimes qu'ils ont commis et non pas pour les propos qu'ils tiennent sur eux, élogieux ou pas. Outre la LDH, le Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples (Mrap), le Rassemblement démocratique algérien pour la paix et l'Action des chrétiens pour l'abolition de la torture vont faire venir à la barre nombre de témoins dont Louisette Ighilahriz, membre du FLN et victime de la torture, et Henri Alleg, auteur et ancien journaliste d'Alger Républicaine qui avait clairement relaté comment Maurice Audin avait été torturé pour enfin disparaître définitivement. Tout cela pour juger « la glorification et la pseudo-justification » des actes d'Aussaresses. Un homme, abîmé peut-être, par l'alcool et l'âge, mais qui a su mettre à profit une loi française aux lacunes plus que déplorables.