«Nous avons des intérêts mutuels» «Je ne suis pas venu en Algérie pour parler du passé. J'ai voulu aborder l'avenir avec les jeunes. Bien évidemment, il ne s'agit pas d'oublier le passé qui fait la spécificité de notre relation», a-t-il affirmé. «Bref mais dense. Je vais quitter le soleil d'Algérie pour me replonger dans la grisaille.» C'est en ces termes qu'Alain Juppé a qualifié son voyage de trois jours en Algérie. Le candidat aux primaires de la droite française a brillamment réussi son étape algérienne. «Nos relations sont bonnes pour ne pas dire excellentes. L'Algérie est un partenaire essentiel et en tant que Méditerranéens, nous avons un destin commun», a-t-il affirmé lors du point de presse qu'il a organisé hier, en fin d'après-midi au salon d'honneur de l'aéroport international d'Alger. «Avec une économie qui n'est pas au beau fixe, un chômage en hausse, la France a besoin de se redéployer à l'international. De même que l'Algérie subit les contrecoups de la chute des prix du baril, nous avons de ce fait des intérêts mutuels», a affirmé M.Juppé dressant le bilan de sa visite à Oran et à Alger. En plus des aspects économiques, il a abordé avec les hauts responsables algériens, dont le président de la République, les questions internationales comme la Syrie et la Libye. «Comme l'Algérie, je suis convaincu que seule une solution politique et une réconciliation mettront fin à ces crises», a-t-il déclaré. Au plan sécuritaire, c'est la radicalisation en France qui a été largement abordée «et on a échangé nos idées sur les moyens de lutte dans les écoles et certains lieux de culte». Au sujet des questions mémorielles, Alain Juppé a préféré ne pas s'y attarder. «Je ne suis pas venu en Algérie pour parler du passé. J'ai voulu aborder l'avenir avec les jeunes. Bien évidemment, il ne s'agit pas d'oublier le passé qui fait la spécificité de notre relation.» Interrogé sur les propos peu avenants tenus envers l'Algérie par l'ancien président Nicolas Sarkozy, l'hôte de l'Algérie a eu ce commentaire assez spécial: «Ce sont les propos de M. Sarkozy.» Enfin, M. Juppé a affirmé que les relations entre les deux pays ne sont plus ce qu'elles étaient, il y a quelques années quand les jeunes Algériens nous interpellaient à chaque fois sur la question des visas. Je n'ai pas entendu cela cette fois-ci. C'est une preuve qu'il y a une grande fluidité dans l'attribution des visas dont le nombre a atteint les 400 000», a-t-il relevé en glissant cette remarque qui en dit long: «Simplement, nous souhaitons une réciprocité pour les Français qui veulent se rendre en Algérie.» Alain Juppé a multiplié les entretiens avec les officiels algériens. Reçu dans la journée d'hier, par le président de la République et le Premier ministre, le candidat à la primaire du parti Les Républicains a réussi un déplacement fructueux en Algérie. Sans trop s'étaler sur les sujets abordés avec ses hôtes algériens, le maire de Bordeaux a mis en avant dans des conférences qu'il a animées, dans la même journée, à l'Institut diplomatique et des Relations internationales (Idri) et à l'Ecole supérieure des affaires (ESA), une certaine convergence de vues entre son approche des questions internationales et celles de l'Algérie. L'action politique sur le dossier libyen et syrien, sa conviction qu'une intervention militaire en Libye ne rimerait à rien et même la polémique franco-française sur la déchéance de la nationalité, ont été les questions abordées par l'ancien Premier ministre de Jacques Chirac, sans complexe et sans détour. Dans son propos à l'Idri, Alain Juppé a estimé que la démocratie était l'une des armes contre l'extrémisme violent. Hasard du calendrier, sa visite a coïncidé avec les derniers préparatifs devant conduire à l'adoption du projet de révision de la Constitution en Algérie. L'allusion n'échappe pas aux observateurs surtout lorsqu'il est indiqué qu'en «dépit du péril et des épreuves, l'Algérie est engagée dans la voie de la démocratie». Sans que cette déclaration soit le quitus que l'Algérie ne demande d'ailleurs pas, elle peut néanmoins constituer une appréciation positive de la part d'un vieux routier de la politique. Et Juppé d'affirmer: «Nous partageons la conviction qu'il n'y a pas d'autres voies possibles non seulement pour le peuple mais aussi pour les partenaires économiques». Autre point de convergence souligné par le candidat au parrainage des voix de la droite, la déradicalisation dans la lutte contre le terrorisme. Ce concept spécifiquement algérien est repris par l'ancien Premier ministre français, le considérant central dans la stratégie des Etats. Les messages de Juppé auront été également politiques, voire électoraux. Ainsi, le meeting, organisé à l'hôtel El Aurassi, avant-hier au soir, aura tenu ses promesses. Nombreux étant les binationaux, les expatriés français et les Algériens qui ont tenu à entendre le candidat virtuel à la primaire des Républicains, en novembre 2016, pour désigner le représentant de la droite à l'élection présidentielle de 2017. Le maire de Bordeaux n'a pas déçu son auditoire, s'engageant avec force à développer avec l'Algérie «un partenariat actif» et réaffirmant sa conviction que les binationaux constituent «une passerelle» entre les deux pays. Ayant débuté sa visite par Oran, ville jumelée à Bordeaux et pour laquelle un certain nombre de projets sont en cours de concrétisation, il a saisi l'opportunité des rencontres à Alger pour parler de l'avenir tel qu'il voudrait l'aborder au cas où il parviendrait à la magistrature suprême. «En France, nous avons une croissance économique atone, a-t-il ainsi argumenté, tandis qu'en Algérie, l'économie est fragilisée par la baisse des prix des hydrocarbures. L'Algérie a besoin d'investissements étrangers pour diversifier son économie», conclut-il, en donnant comme exemple probant de cette ambition les projets Renault et Peugeot dans la région ouest du pays. Multipliant les références à son mentor, Jacques Chirac, il s'est évertué à dissiper l'image tenace d'un homme politique rigide, voire blafard, empruntant au gré des circonstances le ton qui sied à un candidat conscient de l'importance des binationaux dans une France «riche de sa diversité». En fait, les trois jours d'Alain Juppé en Algérie lui ont permis de montrer à une partie de l'électorat français, mais également de prendre une avance sérieuse sur son principal rival dans la course à l'investiture de la droite française. En mettant l'Algérie sur son agenda et en réussissant son déplacement, Juppé prend une longueur d'avance. Pour cause, il est inconcevable qu'un président français entame son mandat, en affichant son désamour avec l'Algérie, comme le fait justement Nicolas Sarkozy.