Spéctacle désolant d'une ville à la réputation surfaite La capitale des Hammadites et ses environs continuent à cultiver une réputation de région féerique surfaite, fausse, cultivée par une complicité à tous les niveaux, pour protéger ceux qui l'ont mutilée, bidonvillisée... A l'heure actuelle, pour ceux qui ont envie de visiter Béjaïa, il est conseillé de se munir de bottes en caoutchouc. Ça creuse partout. Les trottoirs disparaissent. Des monticules de terre se forment le long des routes. A la moindre goutte de pluie, on patauge dans la gadoue. Les entreprises qui ont décroché les contrats ne prennent même pas la peine de remettre en l'état ce qu'elles ont démoli. L'actuel wali qui aiguillonne des projets tous azimuts pour soit, ressusciter des chantiers en dormance ou des projets en souffrance, malgré toute sa bonne volonté, donne la nette impression de s'attaquer à des travaux d'Hercule qui attestent du sous-développement qui ronge l'une des wilayas, sans doute, la plus armée pour rayonner à travers le territoire national et le Bassin méditerranéen. Hélas, cent fois hélas! Paradoxalement, c'est celle qui traîne le plus les pieds. La capitale des Hammadites et ses environs continuent à cultiver une réputation de région féerique surfaite, fausse. A la mesure de ceux qui l'ont mutilée, bidonvillisée et du silence complice de ceux qui ont décidé de couvrir soit l'incompétence soit la gestion désastreuse des élus des Assemblées locales (APC et APW) portés par la volonté du peuple. Celui du suffrage universel à qui nombre d'entre à eux a tourné le dos. Comme s'ils étaient en mission. Ce qui surtout frappe le plus et caractérise Béjaïa et que l'on a mis en sourdine comme pour tenter de voiler ce cancer et ses métastases qui la rongent depuis maintenant plusieurs années, c'est le degré de son état d'insalubrité. Des montagnes d'ordures s'amoncellent dans les cités, aux abords des habitations, partout, dans les rues. En plein centre-ville, sur la mythique ex-place Gueydon, à côté du théâtre que jouxte un espace vert, véritable poumon de la ville, écosystème «colonisé» par plusieurs espèces de plantes, d'arbres et d'oiseaux est transformé en dépotoir où gisent canettes de bière, bouteilles en plastique et des odeurs d'urine dont les «effluves» étourdiraient un ours enragé... Un fléau avec lequel, responsables locaux et population ont apparemment décidé de cohabiter. «Clochardisation» en marche L'image renvoyée par l'insalubrité des quartiers et des villages de la wilaya de Béjaïa est révélatrice de la «clochardisation» et de l'état de sous-développement dans lesquels s'enfonce la région. Certains résignés pleurent leur ville celle qui les a vus naître. Ils évoquent avec une nostalgie à fleur de peau ces habitations d'architecture coloniale tombées en ruine avant de disparaître, un butin de guerre qui leur a filé entre les doigts. «Je ne reconnais plus la ville où je suis né. Je n'ai jamais vu autant d'ordures, de saleté. Les chats, les chiens et les rats vivent ensemble et se nourrissent d'aliments, de pain jetés par des riverains peu soucieux du danger que cela représente pour la santé...», fulmine Ammi Ali, un vieux retraité qui, quotidiennement, vient prendre l'air et profiter de cette vue imprenable qu'offre, l'esplanade de l'ex-place Gueydon. Comme pour fuir cet univers repoussant à travers un regard que la ligne d'horizon tracée sur la Grande Bleue n'arrive pas à fixer de limites. Un voyage fantastique que même les odeurs nauséabondes, qui s'élèvent des poubelles vernis d'un noir à donner la nausée, qui démontrent qu'elles n'ont été ni changées ou nettoyées depuis des années, n'arrivent pas à interrompre. Il faut revenir toutefois sur terre. Sur le chemin qui nous mène vers l'université de Targa Ouzemmour, une ligne droite pratiquement, c'est le même spectacle, désolant, qui donne des haut-le-coeur et fait mal aux yeux. Des tonnes d'ordures jonchent les trottoirs. Une espèce de chaos s'offre à la vue. On se croirait à Kaboul ou Kandahar. La route est défoncée par des travaux d'assainissement «qui durent depuis deux années au moins», nous confie un riverain qui nous entraîne vers la Cité des fonctionnaires. Un endroit paisible habité, en majorité, par des enseignants de l'université Abderrahmane-Mira. Sur le trajet s'est érigé sur le mur adossé à ce haut lieu du savoir, un dépotoir sauvage où sont déversés cartons et marchandises «pourris» des commerçants environnants auxquels s'ajoutent les sachets poubelles, en plastique, déposés par des automobilistes de passage, étrangers au quartier, sans que personne ou presque ne s'en offusque. Favela Arrivée sur le lieu de résidence de notre interlocuteur devenu un chantier à ciel ouvert. Une résidence qui a pris des allures de bidonville, de favela, presque. Une odeur d'eaux usées nous titille les narines. «C'est depuis que les travaux ont débuté que cela sent aussi mauvais. Il n'y a pas que cela, la conduite d'eau potable a été cassée à deux reprises... La vie est devenue intenable. Les travaux se poursuivent la nuit. On ne dort plus. Les coupures intempestives d'électricité sont récurrents...» déplore Saïd, enseignant à l'université située à quelques pas de son logement. Un «privilège» dont il se serait volontiers passé. «Je ne songe plus qu'à déménager... Ma vie est devenue un enfer», ajoute-t-il la gorge nouée. La route est devenue un chemin de croix pour les populations des villages environnants qui sont obligées de parcourir des kilomètres pour arriver à destination. Les transports publics ont jeté l'éponge. Les usagers ont entamé leur chemin de croix. La fin du calvaire serait toute proche paraît-il. En ce qui concerne l'hygiène, aucun indice n'est annonciateur d'une éventuelle amélioration. Un baromètre qui indique que cette plaie béante, prototype par excellence du sous-développement, caractérise désormais Béjaïa et sa région.