Depuis quelque temps, le débat sur l'intégration nord-africaine et la réouverture des frontières avec le Maroc regagne du terrain sous l'impulsion notamment du RCD. Tewfik Hamel analyse, dans cet entretien, les enjeux de ce débat ainsi que ses implications politiques, sécuritaires et économiques. L'Expression: Un débat sur la réhabilitation de la Fédération des Etats nord-africains et la réouverture des frontières avec le Maroc vient d'être relancé par le RCD. Que pensez-vous de cette idée? Tewfik Hamel: Le discours politique (toujours ambigu et évitant de définir des objectifs clairs) vise à ratisser large. Il a comme principales caractéristiques, la tendance à encourager les récits simplistes, souvent caricaturale. Il définit la réalité sociale et politique par des principes généraux. Pour beaucoup, le monde est un endroit étrange et mystérieux et le discours politique crée un sens de l'ordre. Que ce soit dans une société ou une nation entière, les citoyens et électeurs cherchent quatre choses: le sens ou la direction, la confiance dans et du leader, un sentiment d'espoir et d'optimisme, et les résultats. Le président du RCD est tout à fait dans son rôle d'homme politique. Il est de son devoir de fournir la «clarté directionnelle» -un leadership à travers le discours politique- à sa base. Dans l'ensemble, le discours de M.Mohcine Belabbas exprime la vision de son parti. Une vision est une représentation mentale dans l'esprit du chef, qui devrait servir à la fois comme une source d'inspiration et pour donner un sens à ce qui doit être fait. Tournée vers l'avenir, la vision peut être aussi vague qu'un rêve ou aussi précise qu'une déclaration d'un objectif ou d'une mission. Elle décrit des aspirations pour l'avenir, sans nécessairement préciser les moyens qui seront utilisés pour atteindre les objectifs souhaités. Bien que les plans et les stratégies engagent les parties prenantes à un niveau plus analytique et rationnel, un leader (en contact avec les citoyens) est à un niveau émotionnel profond. Son utilité dépend de la qualité de la vision et du leadership, la crédibilité de ce dernier et divers autres facteurs éventuels. Sur le fond, rien de nouveau dans la position du RCD sur l'ouverture des frontières, qui n'est pas vraiment en contraste avec la position officielle. L'Etat algérien a toujours soutenu l'intégration maghrébine sous certaines conditions. La politique est l'art du possible. Le RCD est conscient que sa proposition n'est pas réalisable dans les conditions actuelles. Probablement, il cherche à se distinguer là où il n'y a pas de différences fondamentales; à déterminer les termes du débat national et ne pas laisser le pouvoir décider seul de l'agenda du jour; à exister médiatiquement étant donné le tollé que suscitera une telle position; trouver d'autres leviers et domaines de mobilisation. En effet, le vrai capital d'un parti politique est sa capacité de mobilisation. L'ouverture des frontières pose le problème de la contrebande qui fait saigner l'économie algérienne et facilite le trafic de drogue. Ce problème peut-il être réglé dans un cadre de coopération entre les deux pays? Le début de l'intégration économique européenne après la Seconde Guerre mondiale n'a commencé véritablement qu'après le règlement politique de la question de la Sarthe entre la France et l'Allemagne. Le règlement de cette question a été déterminante dans la Communauté européenne du charbon et de l'acier (Ceca). La vision économiste était basée sur une approche politique. Entre les pays du Maghreb, surtout entre Alger et Rabat, il y a de grandes divergences. Le Maroc a la grande responsabilité dans le blocage actuel. Parfois Alger est accusé à tort par la communauté internationale. C'est l'Algérie qui assume toute seule la crise des réfugiés sahraouis. Le Maroc mène une stratégie d'usure et d'érosion contre l'Algérie. Le trafic de drogue fait partie de ses moyens. Militer pour la démocratisation du régime en Algérie, c'est une chose; et soutenir les intérêts nationaux et les causes nationales, en est une autre. Il ne faut pas les confondre. Si les pays de la région nord-africaine devaient réhabiliter la Fédération des Etats nord-africains, comment le problème du Sahara occidental pourrait se régler étant donné qu'il s'agit d'une question de décolonisation? Le recours aux métaphores et analogies historiques (et géographiques comme «balkanisation», «irakanistation», «afghanisation», etc.) est porteur d'erreurs et participe à la domestication de la complexité de la réalité. Ce processus décrit la façon dont des dirigeants politiques, des universitaires et des médias recyclent des moments historiques, afin de familiariser les situations inhabituelles dans un vocabulaire élaboré à partir de certaines expériences antérieures apparemment saillantes. Evoquant l'image et le moment historiques qui peuvent être greffés à notre présent, ces analogies ont pour effet de désigner et expliquer putativement, des situations bien au-delà du contexte historique d'origine, mais elles portent avec elles des significations chargées qui exposent la spécificité de leurs origines de manière simplifiée. De cette manière, elles projettent une situation historique et, implicitement, l'identifient comme analogue à la situation d'application. Les comptes de «ce qui s'est passé» sont projetés comme des explications putatives sur le présent. Ce qui, au final, permet de comprendre une situation en termes familiers, mais pas nécessairement de façon empirique et précise. La Fédération des Etats nord-africains ne tient pas compte de la réalité des Etats maghrébins et de l'ampleur des obstacles. Une telle vision fausse les enjeux du débat actuels et nous fait tomber dans une erreur de deuxième type: c'est-à-dire, c'est comme apporter une bonne réponse à une mauvaise question et hypothèse. L'intégration régionale verra le jour progressivement avec la démocratisation progressive des régimes en place. Qu'en est-il de la situation sécuritaire en Libye et au Mali? Est-ce qu'elle est de nature à accélérer un processus d'intégration des pays de la région ou, au contraire, constitue-t-elle un obstacle à ce projet? La poursuite du processus d'intégration maghrébin modifierait les données stratégiques et économiques dans le sud-ouest de la Méditerranée. Mais l'intégration régionale a toujours été déterminée par des impératifs et des intérêts nationaux. La question du Sahara occidental empoisonne toujours les relations entre les deux capitales dans un contexte de rivalité régionale, de méfiance mutuelle, de frontières fermées. N'oublions pas que les deux capitales espéraient pouvoir utiliser le processus de l'Union du Maghreb arabe (UMA) à l'appui de leurs programmes politiques en ce qui concerne le Sahara occidental. Le rêve du «Grand Maroc» persiste toujours. Traduisant une vision révisionniste, la dernière Constitution marocaine évoque la défense «des frontières authentiques» sans les préciser. Si une telle ambiguïté n'est pas anodine, le premier et principal objectif de l'Algérie est d'accroître son prestige et statut dans le Maghreb. La confrontation avec le Maroc représente toujours la préoccupation centrale de la politique étrangère algérienne et la plupart de l'activisme régional et international algérien doit être considéré à travers ce prisme. L'action internationale de l'Algérie fut et est motivée par la volonté de s'imposer comme un interlocuteur incontournable des grandes puissances pour tout ce qui concerne les affaires maghrébines mais aussi africaines. La situation de la Libye est grave et susceptible de durer. Les stratégies d'Alger et de Rabat se neutralisent. Bien que l'Algérie soit la plus concernée, le Maroc a un jeu trouble au Sahel.