Abderrahmane Raouia, directeur général des impôts L'Algérie a la possibilité de lever quelque 6 000 milliards de dinars, pas moins de 60 milliards de dollars sous forme de fiscalité ordinaire. Le directeur général des impôts, Abderrahmane Raouia, a rappelé, hier, lors d'une conférence à Alger, le dernier chiffre correspondant à la recette fiscale. Le haut fonctionnaire a ainsi, indiqué que la fiscalité ordinaire avait rapporté au Trésor public quelque 3000 milliards de dinars. M.Raouia s'est bien entendu félicité de cette performance qui dépasse les prévisions établies par le gouvernement qui tablait sur 2600 milliards de dinars. Cette progression «significative» du recouvrement de l'impôt est l'arbre qui cache la forêt, au sens où elle se situe bien en deçà du potentiel de l'économie nationale en matière de fiscalité. Il faut dire, à ce propos, que des pans entiers de la sphère d'affaires échappe totalement à l'administration fiscale. Ce serait défoncer des portes ouvertes que d'affirmer l'incapacité quasi chronique de l'Etat à imposer un minimum de rigueur dans la gestion des redevances qui lui reviennent de droit, en tant que premier représentant de la collectivité nationale. En effet, si dans quelque 50% des activités économiques et commerciales, l'impôt est levé sans trop de difficultés, l'autre moitié est constituée d'une faune d'opérateurs et de commerçants qui activent en dehors du système et s'en tirent à bon compte. Ils ne sont même pas inquiétés, même lorsqu'ils exhibent des signes extérieurs de richesse d'une indécence qui frappe les esprits des Algériens. Cette partie underground de l'économie nationale fonctionne dans une sorte d'autonomie stupéfiante et tient l'Etat par une sorte de chantage à l'emploi, puisqu'elle occupe des centaines de milliers de travailleurs, donc autant de familles. Née à la faveur de la dérégulation de l'économie nationale au lendemain de l'ouverture politique du pays, cette caste d'affairistes a proliféré durant la décennie noire, jusqu'à «bazardiser» le système économique et verrouiller toute perspective de sa modernisation. A l'époque du plan d'ajustement structurel, le développement du commerce parallèle était quelque part une aubaine pour un gouvernement qui n'avait pas les moyens financiers de créer des postes de travail, bien au contraire. La pression du FMI a poussé le gouvernement de l'époque à «libérer» des centaines de milliers de travailleurs qui avaient trouvé dans les petits boulots de l'informel une sorte de planche de salut. La situation, qui aurait pu évoluer vers une régression de la sphère parallèle avec le retour de la stabilité et l'embellie financière grâce à la remontée des prix du pétrole, a empiré et les masses d'argent brassées par les commerçants de l'informel frisaient des niveaux insoupçonnables. Des citoyens, et des photos publiées sur les réseaux sociaux l'attestent, parlent de chambres entières remplies de billets de banque. Autant d'argent qui échappe au circuit économique et donc fiscal du pays. Cela étant dit, la question que tout un chacun se pose est de savoir pourquoi le gouvernement a laissé prospérer l'économie de bazar au point où les revenus fiscaux ordinaires ne permettent même pas un fonctionnement a minima de l'administration pendant quelques mois. Il y a certes, quelques raisons objectives, mais il est également admis par l'ensemble des experts, un sous-investissement dramatique de l'Etat en matière de renforcement de l'administration fiscale. Protégée par une manne financière conséquente et une fiscalité pétrolière débordante, l'administration des impôts a donc laissé la situation tourner en roue libre et les fonctionnaires des impôts s'étaient transformés en employés qui se satisfassent dans le contrôle des mêmes opérateurs sans chercher plus loin. Une situation frustrante pour les «bons payeurs» qui voient, au quotidien, leurs collègues du marché parallèle prospérer sans être inquiétés. Un état de fait qui remet en cause le fondement même de la fiscalité pour un Etat qui dit aspirer à la modernité. Aujourd'hui que l'argent du pétrole et sa fiscalité subséquente viennent à manquer, le gouvernement découvre que le potentiel en matière d'impôts ordinaires est phénoménal. La marge de progression du recouvrement fiscal est de plus de 90%, estiment les observateurs. En d'autres termes, l'Algérie a la possibilité de lever quelque 6000 milliards de dinars, pas moins de 60 milliards de dollars sous forme de fiscalité ordinaire. Le ministre des Finances qui avait préconisé de rattraper le manque à gagner, conséquence du déficit provoqué par la baisse des prix du pétrole, n'avait pas tort.