« Un jour, raconte un riverain, on a retrouvé un bébé, la tête tordue, les yeux arrachés et pleins de pus. Cette image témoigne pour la vie. » «Vous ne connaîtrez jamais l'ampleur de la tragédie à Rebaïa», nous confie un citoyen. En nous rendant dans la région du tristement célèbre émir Kara, nous avons non seulement voulu revenir un instant sur l'épouvante, mais aussi éclairer un chemin de développement sur lequel population et responsables s'engagent pour reconstruire une commune meurtrie. Les sanguinaires ont infesté pendant de longues années cette région essentiellement montagneuse et dont la sécurité commençait à se poser d'une façon alarmante à partir de 1992. Une année qui marque les débuts d'une tragique dévastation du peu d'équipements publics comptabilisés par Rebaïa. En témoigne la destruction du siège de la mairie, de l'agence P et T, de la Maison de jeunes, du centre de santé, des écoles. Partout, ce village de 7 450 âmes exhibe les blessures d'une nuit terroriste longue de six ans. Les zones rurales visitées par notre journal alignent, par endroits, des façades éventrées, des toits effondrés, des maisons calcinées que les habitants s'affairent aujourd'hui à reconstruire. Dans cette contrée percluse au sud-est de la wilaya, et où la population est très disséminée, une journée ne suffit pas à rendre compte des souffrances endurées. Après plusieurs kilomètres de piste très difficile, même en plein été, nous retr- ouvons un premier hameau. Hadj Abdelkader marche avec un air absent autour des ruines de sa maison, apparemment oublieux du massacre qui a emporté, en 1994, sa femme et ses deux filles. Il s'emploie à reconstruire sa masure avec l'aide fournie par les pouvoirs publics, ce qui atteste que les choses ont repris leur cours normal. «Les terroristes voulaient rayer Rebaïa de la carte. Ils ont porté un coup cruel aux populations rurales. Beaucoup de personnes furent assassinées, des femmes enlevées, des habitations saccagées. Un jour, poursuit-il, on a retrouvé un bébé, la tête tordue, les yeux arrachés et pleins de pus. Cet enfant baignait dans le sang qui trempait ma chemise. Cette image témoigne pour la vie.» Plus loin, chez les Merabtine, deux hommes retapent la toiture d'une maison. A l'intérieur, une jeune fille nettoie un poêle et range du bois de chauffage en vue du rude hiver de la région. C'est l'unique rescapée d'une famille composée de neuf personnes. «Durant ces six années, témoigne Smaïn, il n'est guère de dechra qui ait été épargnée, et la campagne s'est pratiquement vidée de ses habitants. Ceux qui ont pu trouver un proche sont partis en laissant leurs biens. Les maisons, qui avaient échappé aux destructions, ont été pillées. Meubles, ustensiles de cuisine, couvertures, matelas, portes et fenêtres furent emportés par les terroristes.» Selon des sources locales, les criminels dirigés par Kara (originaire de Rebaïa), ont fait près de cent morts, et contraint 6.000 habitants à fuir leurs foyers pour chercher refuge dans d'autres villes de Médéa et hors wilaya. La plupart des habitants des zones rurales ont perdu tout ou partie de leurs biens aujourd'hui partiellement couverts par l'Etat. Autre témoignage, celui de Belkacem: «Le nombre de terroristes avoisinait les 200 éléments qui agissaient à visage découvert.» «Plus douloureux étaient les cas d'époux qui ont vu leur honneur bafoué, de peur d'être tués. Les informations, ils les obtenaient grâce à leurs indicateurs ou sous la torture. Celle-ci était invariablement les tenailles pour arracher les dents et le couteau pour taillader le corps de la victime. On a même entendu parler de terroristes qui trempaient le pain dans le sang des personnes égorgées». Des images cauchemardesques, mais également une grande vulnérabilité sociale qui plonge dans le chômage une personne sur dix. Aujourd'hui, près de mille personnes ont rejoint leurs douars respectifs: Djaâfra, Kherza, Houamed, Merazik, Merabtine, Ouled Ben Abdelkader. Cela, à la faveur de l'aide à la reconstruction, crédits agricoles, eau potable, électrification, réseaux routiers, écoles et surtout le Fndra perçu par les ruraux comme bouées de sauvetage. Même constat dans la commune de Ouled Deïd ou Zaouia, El-Frech, Ouled Aziz, Lassabat et Hechalfa qui enregistrent une remarquable pénétration en matière de désenclavement et de sécurité qui passent avant toute autre préoccupation. Les efforts colossaux déployés par les forces de sécurité et la daïra de Berrouaghia sont soulignés par les populations rurales.