Plus de 400 personnes furent assassinées, et des femmes portent en elles les séquelles du viol collectif des terroristes Peu après notre arrivée à Sidi-Naâmane (25 km au sud-est de Berrouaghia), trois accompagnateurs nous conduiront vers Chorfa Oued Mellah par une piste tortueuse et défoncée qui traverse un lit d'oued. «En hiver, raconte un riverain, les crues coupent la population rurale de la commune. Nous attendons depuis des lustres la réalisation d'un pont dont la fiche technique traîne toujours à la wilaya». A Chorfa, hameau écarté de Sidi-Naâmane, l'apparition d'une voiture peut, aujourd'hui, encore susciter la méfiance. Si Tayeb, un valeureux moudjahid et patriote ayant tenu tête au redoutable émir Abdelkader Bouteldja alias «Traoré», nous introduira à Ouled Bensaâd, une zone qu'aucun journaliste n'a visitée auparavant. A première vue, l'endroit ne semble pas présenter d'intérêt particulier. Et pourtant, ce monticule où s'élève le haouch de Si Tayeb fut témoin d'une longue et farouche résistance contre les hordes criminelles. «Les trois kilomètres de piste reliant Chorfa et Ouled Bensaâd cachent, peut-être encore, des bombes qui n'ont pas explosé», nous met en garde l'un de nos guides. L'hésitation et la peur ont planté leur décor sur notre reportage d'autant que des récits sur des patriotes déchiquetés ne manquent pas «Il y a deux années, alors que nous faisions une mission de reconnaissance, une bombe dissimulée sur ce tronçon a arraché les deux pieds à un patriote», raconte Si Tayeb. L'escalade de ce pic abrupt a été une véritable roulette russe. Si personne ne pouvait dire où et combien d'engins parsèment encore ces trois kilomètres, en revanche chacun était conscient du danger. L'enclavement extrême des Ouled Bensaâd donne aussi la pleine mesure de la facilité avec laquelle les terroristes frappaient. Ici, c'était le royaume de Abdelkader Bouteldja surnommé «Traoré», un fou sanglant et psychopathe d'une trempe particulière. Derrière ce monstre, originaire de la commune de Bouchrahil, se profile un groupe terroriste qui a ensanglanté les douars de Ahl Draâ, Ouled Sidi Moussa, Béni M'hamed, Gtarine, Rouahi, El Baradie, Ouazane, Ahl El Oued. Au sommet des Chorfa Oued Mellah, surgit brusquement au fond d'un massif montagneux le douar Ouled Bensaâd. Un véritable désert dont les rescapés sont allés grossir le lot de ceux qui avaient fui, à partir de 1994, les hameaux limitrophes. «Dès 1994, tous les habitants ont commencé à quitter le douar, tirant des chariots et mulets sur lesquels ils avaient entassés furtivement quelques maigres biens personnels», témoigne notre compagnon. Des haouchs livrés au vent ou saccagés par les sanguinaires. On me tend une paire de jumelles: à moins d'un km, j'aperçois «Ghaba Kahla» (la forêt noire). Un paradis insulaire combien trompeur. «C'était le point de ralliement de centaines d'éléments du GIA qui venaient dans cette forêt pour se reposer, se ravitailler et repartir vers d'autres régions. Comprenez pourquoi sa proximité a fait fuir les Ouled Bensaâd», explique un riverain. «Mais depuis trois années, et grâce aux valeureux éléments de l'ANP, du Darak et des GLD, cette forêt a été entièrement nettoyée, et les douars environnants ont commencé à respirer», ajoute un autre. Même si la situation sécuritaire s'est améliorée, et que les autorités ont engagé des mesures incitatives pour favoriser leur retour, les Ouled Bensaâd ne se manifestent pas encore. La peur semble toujours peser sur ces lieux, et le chemin reste miné par la crainte de nouveaux attentats terroristes. C'est que les stigmates sont encore vivaces. «Des hommes furent exécutés, des femmes violées et qui se sont retrouvées avec le fruit horrible de plusieurs terroristes», témoigne un miraculé, rencontré à Bouchrahil. Une commune brave et héroïque où quelque 400 victimes sont recensées. «Quand ton enfant tombe à tes côtés, tu ne regardes pas, tu continues à courir en souhaitant que les terroristes ne te rattrapent pas», nous déclare un rescapé. Durant la nuit des longs couteaux, certains ont évacué femmes et enfants vers des régions plus sûres, d'autres ont été contraints de déménager à plusieurs reprises au cours de ces années de braise, à mesure que l'insécurité se déplaçait d'une zone à l'autre de la contrée. Aujourd'hui, reconnaissent plusieurs citoyens interrogés, grâce aux forces combinées, à l'implication des habitants et aux actions engagées par la wilaya comme l'électrification, l'eau, le soutien agricole, l'autoconstruction, les choses se sont considérablement améliorées depuis 1999 où, pour la première fois, des zones rurales se repeuplent graduellement. Au moment du retour, Si Tayeb nous montrera le lieu où le tristement célèbre émir Abdelkader Bouteldja a été abattu par les forces combinées. Depuis, la situation tend à la quiétude pour Sidi-Naâmane, Bouchrahil et Khams Djouamaâ. Le cauchemar des bourreaux et de suppliciés se conjugue, désormais, au passé. Les sectes de la mort découvrent l'étendue de leurs désillusions.