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"C'est un film hyperengagé..."
KARIM DRIDI, REALISATEUR, À L'EXPRESSION
Publié dans L'Expression le 01 - 06 - 2016

img src="http://www.lexpressiondz.com/img/article_medium/photos/P160601-07.jpg" alt=""C'est un film hyperengagé..."" /
Chouf est le nom donné aux guetteurs des réseaux de drogue de Marseille. C'est aussi le titre de son nouveau film, présenté en séance spéciale au festival de Cannes le lundi 15 mai dernier.Nous, on y était. Le jour de la montée des marches, toute l'équipe était présente et fière de représenter un Marseille avec ses coups de feu et ses coups de sang, mais sans artifice ni clichés. Nous avons rencontré l'auteur de ce film, le réalisateur franco-tunisien et lui avons posé des questions coups de poing, qui, l'ont, somme toute, énervé. Il nous répondra sans concession. Et c'est tant mieux.
L'Expression: Après votre film Khamsa, vous revenez avec un nouveau long métrage qui aborde quasiment la même thématique. C'est un film sur la drogue, vous dites dans le dossier de presse que pour pouvoir s'immerger complètement dans ce milieu, il vous a fallu partir carrément vous installer à Marseille et travailler avec des jeunes qui n'ont rien à voir avec le cinéma. Comment ça a été?
Karim Dridi: C'est un film sur des jeunes qui s'entre-tuent et dont les médias français parlent beaucoup sans en parler vraiment, c'est-à-dire en parlent de façon sensationnelle, en évoquant la mort, mais c'est toujours des gens anonymes qui s'entre-tuent et on énumère le nombre de morts. On ne sait pas qui sait. On croit savoir pourquoi, pour des raisons de drogue, des histoires de territoires, mais la vérité, est qu'ils ne s'entre-tuent pas à cause d'histoire de pouvoir et de drogue mais parce qu'ils vivent dans ces cités où il y a 85% de chômage, il y a une injustice qui perdure depuis la création de ces ghettos c'est-à-dire depuis l'indépendance de l'Algérie. Ce sont des jeunes essentiellement algériens qui vivent à Marseille, il y a des Tunisiens et des Marocains, mais dans mon film il n'y a que des Algériens d'origine...
Pour faire un film comme ça, la volonté est d'être authentique, le plus juste possible, le plus vrai possible, le moins cliché possible. Donc c'est un film très risqué. On peut tomber dans l'outrance, la vulgarité. Le plus possible était vraiment de m'engager comme je le fais d'habitude, mais là, encore plus. C'est-à-dire venir habiter à Marseille alors que j'habite à Paris, passer énormément de temps avec ces jeunes. Ce film je l'ai préparé sur trois ans. Et j'ai fait travailler les jeunes pendant deux ans en ateliers. J'ai formé les jeunes une fois qu'on les avait fait travailler. Des jeunes qui ne font rien, qui ne sont pas acteurs du tout. Ce sont des jeunes qui ont eu des rapports très proches avec le deal. Certains ont été des choufs dans leur enfance, d'autres ont été en prison. Presque tous ont vu des gens mourir, des frères. Ce sont des jeunes qui connaissent ces histoires. Ce ne sont pas des jeunes qui ne connaissaient pas cette réalité. C'était important pour moi de travailler avec des jeunes du nord de Marseille. En même temps, il fallait leur apprendre un minimum de technicité, de jeu, et ça été deux ans de travail en atelier et puis le tournage...
Vous pensez que les raisons du chômage invoqué notamment, justifiraient le fait qu'un jeune braque son pistolet sur un autre et le tue?
Vous croyez comme certaines personnes en France parce qu'ils sont d'origine algérienne qu'ils s'entre-tuent? Vous croyez que les Algériens, dans leurs gènes, il y a le meurtre, le vol? Non! Eh bien, moi non plus. Si le meurtre et le crime perdurent dans ces cités c'est qu'il y a des raisons sociales et économiques d'abord. A Baltimore, à New Work, à Los Angeles il y a des ghettos, ce sont des Noirs qui s'entre-tuent, ce n'est pas parce qu'ils sont d'origine africaine qu'ils s'entre-tuent. C'est à cause de la misère sociale que les jeunes s'entre-tuent. La misère engendre la folie et la folie fait qu'on est capable de tuer son frère.
C'est une trilogie en fait, que vous achevez avec ce film?
Oui. Maintenant je vais travailler sur les Blancs, un peu. C'est vrai que faire des films que sur les Noirs et les Arabes c'est bien. Mais...(ironique, Ndlr).
Dans votre film les Blancs ont un mauvais rôle
Ce sont tous des pourris, oui. Ce sont des gens qui profitent du système. Mais cela je n'ai rien inventé. Je ne dis pas que toute la police française est complice. Je dis que cette situation, ce cancer de la société française n'est pas arrivé comme ça. Ça arrive parce qu'il y a des responsables. Je vous dis, ces cités ont été créées pour les rapatriés d'Algérie, les pieds-noirs. Les pieds-noirs sont partis et ce sont les Algériens, Tunisiens, Marocains des années 1970 qui ont peuplé ces cités, puis, les Comoriens etc.
Vous ne pensez pas que ce genre de film stigmatise encore plus ces jeunes comme dans les médias et qu'il faille montrer une meilleure image de ces cités?
Ce n'est pas moi qui ai inventé ces ghettos. Ce n'est pas moi qui les ai créés. Alors, il y a deux façons de faire. Soit on le montre, soit on ne le montre pas. Soit on est sincère, on est dans une démocratie. La France est soi-disant une démocratie, où on a la possibilité de parler de tout et là, c'est une tragédie. Le jour où je voudrais parler d'une comédie ce sera différent.
Là, je parle de ce sujet sans langue de bois, en montrant cette réalité. Donc soit je la montre ou je ne la montre pas. La critique facile est de dire que ces jeunes s'entre-tuent et ne font que ça. Oui, on peut faire cette critique-là, mais pourquoi pas dire que ces jeunes qui seraient en prison la plupart ou morts, ont monté les marches du festival de Cannes hier, ces jeunes sont devenus des acteurs, tout le monde reconnaît leur talent, je parle des acteurs de mon film Chouf. Pourquoi ne pas parler de ça, parce que c'est positif? Je voudrais bien parler des nombreux films sur la banlieue et les cités avec des jeunes d'origine maghrébine. Il y a des films qui plaisent à un certain public. Ce sont des films qui mentent. Faire un film aujourd'hui et dire qu'on est tous frères et que le raciste du Front national et le petit Maghrébin c'est pareil, ils s'aiment. C'est mentir. C'est un mensonge pur.
La dernière scène du film sans la dévoiler est terrible, est-ce à dire que la réalité nous rattrape fatalement et le mauvais est puni car c'est le prix à payer?
Oui, c'est une tragédie. Le père du jeune dans le film lui dit: on ne plaisante pas, la route est droite, sa soeur lui demande de retourner à Lyon, sa fiancée lui dit d' arrêter. Il est devenu un criminel et il l'a payé cher oui. Il aurait pu ne pas payer. Ça finit aussi avec une scène d'un garçon avec une arme dans la main, une Kalachnikov, et ça dit quelque chose. Que c'est un cercle vicieux et ça touche aussi de plus en plus les jeunes en bas âge. Ça dit ça. Il fallait écouter les femmes dans le film. S'il les avait écoutées, il ne serait pas rentré dans un cycle de violence. Quand on naît dans ces quartiers, on est en contact avec la criminalité. Il avait le choix. Mais il a pris le mauvais chemin, fait le mauvais choix et c'est la morale du film.
Si tu choisis, la route est droite. Si tu vas à gauche ce n'est pas la même chose que si tu vas à droite. Les jeunes disent dans la rue: c'est à toi de voir entre le halal et le haram. Si tu ne fais pas de différence entre les deux c'est ton problème. Mais c'est difficile de tenir une route droite sans délinquance, quand on n'a pas de perspectives, et quand on est en contact avec la criminalité. Au départ, le jeune ne voulait pas tuer. Il voulait juste que justice soit faite, qu'on venge la mort de son frère et puis il s'est laissé entraîner dans cet engrenage. C'est un film sur le piège, sur le déterminisme social. C'est un film qui dit que ces jeunes sont plus en contact avec la criminalité que des jeunes Français moyens qui eux vivent dans des endroits plus sales.
Ça dit que ces jeunes issus de l'immigration française d'origine maghrébine ont un potentiel énorme, pas seulement pour jouer au foot comme Zidane, mais pour jouer de la comédie, un potentiel pour la physique, les maths, plein de choses, le journalisme notamment, mais il suffit juste de leur donner les mêmes chances que les autres. Il y a un ministère en France qui s'appelle le ministère de l'Egalité des chances. Egalité de quoi? Je finirai là- dessus, en faisant un peu d'humour en disant que je n'ai pas vu de Panama papers dans les quartiers du Nord.
J'ai vu certes, des gens qui s'entre-tuent entre eux, entre frères, mais je n'ai pas vu les gros criminels en col blanc que l'on peut fréquenter dans des endroits, dans les hôtels comme le Martinez ou le Carlton.


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