img src="http://www.lexpressiondz.com/img/article_medium/photos/P121220-07.jpg" alt=""Avec Lakhdar Hamina, l'Algérie avait mené loin le cinéma africain"" / Lors des journées du film engagé, organisé, durant le Festival du film d'Alger, nous avons rencontré un cinéaste africain engagé: le réalisateur sénégalais Moussa Touré. L'auteur du film La Pirogue, sélectionné en mai dernier au Festival de Cannes, a donné son point de vue sur la liberté filmique du cinéma africain, le cinéma algérien et surtout sur les thèmes et les sujets qui nourrissent son cinéma. L'Expression: Après la fin du Festival international d'Alger, quelles sont vos impressions d'abord sur les films, ensuite sur la thématique du film engagé? Moussa Touré: Vous savez ce que j'ai remarqué, mais vraiment il y a une très bonne sélection. Vous savez, le cinéma algérien était en avance sur beaucoup de choses. Il a drainé le cinéma africain. J'étais dans plusieurs festivals dans le monde dont Cannes et une sélection comme ça c'est rare, franchement. Le choix est magnifique. Quand on parle du cinéma engagé, il faut que les cinéastes le soient vraiment. Moi on dit que je suis un cinéaste engagé, que ce soit dans les films ou les documentaires, je suis vraiment engagé. Ce n'est pas le cas pour tous, donc il faut revoir ça. Pour ce qui est du Festival d'Alger, c'est une manifestation qui va grandir très vite. L'organisation est très professionnelle et la programmation est magnifique. Les raisons sont là pour qu'elles grandissent, parce qu'il y a des professionnels autour, des gens qui connaissent le cinéma. Pour revenir à votre film Pirogue, est-ce que le fait que votre film soit sélectionné à Cannes signifie que le cinéma africain est en bonne santé? Non, mais je pense que la création cinématographique est en bonne santé. Mais le cinéma africain dans sa globalité non. Parce qu'on ne veut pas faire des films là où il n'y a pas de salles, faire des films là où il n'y a pas de structures cinématographiques, ce n'est pas possible. En fait, ce film existe grâce à un réalisateur sénégalais, mais aussi grâce à des fonds étrangers. Ce n'est pas un malheur, vous savez aujourd'hui, les données ont changé, même les films en France sont faits avec des financements étrangers. Pourquoi les cinéastes africains ou maghrébins dépendent toujours des producteurs français, est-ce que ce n'est pas une nouvelle forme de colonisation culturelle? Non ce n'est pas une colonisation, c'est nos Etats qui nous lâchent. Ils ne s'occupent pas de nous ils s'en foutent de notre cinéma. Et nous on est obligés de faire des films quand même. Les Français sont toujours disponibles, contrairement aux Espagnols, aux Italiens et aux Allemands... Non, les Allemands commencent à s'ouvrir au cinéma africain, les Norvégiens aussi, mais nos Etats ne se préoccupent pas de nous, ils s'occupent de 4x4, de belles maisons, d'autoroutes, mais pas le cinéma. Ils ne pensent pas que le cinéma est un apport pour un peuple aussi jeune, dont 75% ont moins de 35 ans. Le cinéma fait partie intégrante de ce qui peut faire grandir un peuple. Ils ne pensent pas que commercialement, politiquement et socialement le cinéma peut faire avancer un peuple. Et quand mon gouvernement ne s'occupe pas de moi, il faut que j'aille chercher des fonds. C'est dommage, parce que nous bravons le monde juste pour ramener des idées et des histoires à notre peuple. Et quand ils nous les ramènent, ils nous félicitent. Ce n'est pas les Français qui essayent de nous coloniser avec leur soutien, car on fait de la résistance. Quand un producteur français nous ramène l'argent, il a son mot à dire. C'est un cinéma de résistance. Quand on pense à la résistance de l'Afrique, on a tendance à penser à Thomas Sankara, Patrice Lumumba, Mandela.... pourquoi ces figurent importantes de la résistance africaine ne sont pas illustrées dans des films africains? Seuls des films américains illustrent le parcours de Mandela et il a fallu que ça soit un cinéaste antillais Raoul Peck pour faire un film sur Lumumba, alors qu'aucun film n'a été fait sur Sankara, alors qu'il symbolisait réellement la résistance africaine? C'est parce que l'histoire africaine passée est encore présente. Aucun gouvernement africain ne va financer un film sur un idéaliste. Ceux qui ont éliminé Sankara sont encore vivants. Ils ne vont pas l'accepter. Il y a eu un film réalisé par un Burkinabé sur Thomas, mais c'était un problème pour voir le film à Ouaga. Essaye de faire un film sur un président africain, tu vas voir. Tu peux le faire mais tu vas le montrer ailleurs, parce qu'il va être censuré. Les gens qui sont concernés par l'histoire ne vont pas le voir. Et puis même les producteurs étrangers ça ne les intéresse pas de faire un film sur Sankara. Dans mon prochain film, je vais parler du peuple africain. Vous me parlez de Lumumba, je vous parle du peuple africain inconnu, qu'on a oublié. Moi je vais montrer l'Afrique cachée. On ne montre que le côté exotique de l'Afrique. C'est vrai qu'il y a l'histoire et la préhistoire mais il y a le peuple aussi qui est présent. Regarde ici en Algérie, il y a eu les Romains, pourquoi on ne parle pas des Romains qui sont venus massacrer les Berbères ici? Pourquoi on ne va pas faire un film comme ça? Si tu vas en France pour leur dire que je veux faire un film sur les Romains qui sont arrivés au Burkina Faso, ils ne vont pas t'écouter. Nous sommes les seuls à pouvoir faire ces films-là. Est-ce que vous pensez qu'en Afrique il y a une liberté cinématographique? Non! Un peu peut-être? Chez moi peut-être, car on est vraiment démocrates! Si Abdallah Wade était encore là, je serais mort. On fait partie de l'Afrique de l'Ouest qui est démocratique. J'ai failli ne pas faire le film, mais je peux oser dire chez moi, on a une liberté de parole et une liberté filmique. On vous donne la liberté mais on ne finance pas le film! Non (rire) Mais c'est une manière de censurer! Je ne crois pas que c'est une censure, non pour eux c'est pas important ce n'est pas une priorité. (Rire) Il y a trois cinémas en Afrique. Il y a le cinéma d'Afrique du Nord avec le Maghreb et l'Egypte, le cinéma d'Afrique de l'Ouest, majoritairement francophone et puis le cinéma africain anglophone, dominé par le Nigeria et l'Afrique du Sud, quel est d'après vous le cinéma qui l'emporte sur l'autre? Il faut voir qui fait des films pour l'Afrique du Sud, c'est des Blancs. Il n'y a pas beaucoup de cinéastes noirs en Afrique du Sud. Pour le Nigeria, ils sont dans un autre domaine, c'est du cinéma populaire, commercial ce n'est pas un cinéma d'auteur. Le cinéma algérien c'est du cinéma d'auteur. Mais je pense que l'Algérie a régressé, c'est dommage parce que c'était l'Algérie qui nous «tirait». Qu'est-ce qui vous a marqué dans le cinéma algérien? Les films de Lakhdar Hamina et puis cette jeunesse. Lakhdar c'est le parrain mais ce qui est venu après c'est magnifique. Il y a Merzak, lui il tient le bout, il faut lui donner le flambeau. Le cinéma algérien est éparpillé, on ne sait pas d'où ça vient. Ça ne vient pas d'Algérie... parfois. Et puis, il y a le cinéma subsaharien. Il y a de belles choses qui se font au Sénégal, des documentaires, des films fictions. Il y a le Burkina Faso. Le Burkina s'est un peu éteint, c'est peut-être parce que c'est un système francophone, mais là ça fait un bon bout de temps qu'on n'a pas vu un film burkinabé. C'est un peu politique. Le cinéma malien aussi... il y a le cinéma tunisien et marocain aussi. Le problème pour le cinéma marocain il est trop national, il faut qu'il soit un peu indépendant. Il y a des expériences marocaines à travers le film de Nebil Ayouch. C'est une exception, mais ces films sont financés par des fonds étrangers. Son film s'ouvre au monde alors qu'il y a beaucoup de films au Maroc qui sont assez répétitifs, parce que c'est des films sociaux qui parlent de leur vie. Mais moi je veux connaître ce qui se passe en Algérie, ce qui se passe au Maroc. Pourquoi il n'y a pas de cinéma de l'immigration africaine, il y a beaucoup de films qui sont faits par des Maghrébins sur les immigrés en France, mais pas de film d'Africains sur l'immigration africaine en Europe? Vous savez, j'étais dans une conférence récemment à Marseille, je leur ait dit: «Vous les journalistes vous ne parlez jamais d'immigration africaine, alors que l'immigration a toujours existé et elle continue.» Vous savez, notre actuel président Macky Sall, qui l'a élu? C'est l'immigration du CongoBrazzaville, c'est elle qui l'a élu et qui a financé sa campagne. Je vous donne un exemple, le réalisateur béninois Idrissou, sa première sortie à l'étranger c'était en Algérie, il est resté un an ici, il a travaillé comme maçon etc... mais des histoires comme ça il y en a plein. Les Sénégalais vont au Gabon, il y a les Maliens en Algérie, mais on n'en parle pas. Vous avez vu le film de Rachid Djaïdani, «Rangaine», est-ce que vous croyez au racisme entre Arabes et Africains? Je ne crois pas que ça soit un racisme; je crois que c'est une méconnaissance de l'Afrique. Parce qu'ils ne se rendent pas compte qu'ils sont en Afrique les Maghrébins. Ils ne se rendent compte que quand il y a un match de coupe d'Afrique. Après ça, ils oublient qu'ils sont en Afrique. Ils croient qu'ils sont plus proches de l'Europe que de l'Afrique alors que quand ils sont en Europe ils se rendent compte qu'ils ne sont pas Européens. Franchement, je pense que c'est juste une méconnaissance totale de ses origines.