Malgré les rumeurs insistantes qui avaient circulé, la veille, sur une éventuelle visite de Bouteflika à Ifri, rumeurs relayées par un «défilé» de médiateurs dépêchés d'Alger, le rendez-vous espéré par la population entre le Président de la République et la Coordination, pour donner une suite à la plate-forme des ârchs, n'a pas eu lieu. C'est une véritable marée humaine qui a envahi, hier, la localité d'Ifri-Ouzellaguen en réponse à l'appel de la coordination interwilayas pour «se réapproprier l'histoire». Depuis la zone d'activité d'Akbou, point de départ retenu à la dernière minute et ce, jusqu'à la ville d'Ouzellaguen, l'espace était noir de monde. Plusieurs centaines de milliers de jeunes et moins jeunes ont tenu à marquer, par leur présence, cette marche historique en bravant la chaleur. Jamais dans l'histoire, la ville d'Ouzellaguen n'a vécu un moment aussi fort. Une véritable jonction est ainsi faite entre la génération d'hier, qui s'est illustrée par l'organisation du Congrès de la Soummam, et celle d'aujourd'hui qui tente d'appliquer ses résolutions quarante-cinq ans après. Venue de Tizi Ouzou, de Bouira, d'Alger, de Boumerdes, de Bordj Bou-Arréridj, cette foule impressionnante s'est ébranlée aux environs de 10 h. Le nombre important de marcheurs a donné lieu a une désorganisation totale. L'événement d'hier à Ifri-Ouzellaguen, qui s'est déroulé heureusement sans incident, était tout sauf une marche au sens propre du terme tant l'organisation était défaillante. La marche s'est transformée en marathon et en course-poursuite. Cela n'a pas manqué de créer des paniques à plusieurs moments. Arrivés au point névralgique, face à la brigade de gendarmerie locale, les organisateurs ont déployé un gigantesque cordon de sécurité pour prévenir tout dérapage. Cela n'a pas empêché les marcheurs d'agresser les occupants de la brigade verbalement. Tout au long du parcours, les habitants mettaient à la disposition des marcheurs de l'eau. Le Croissant-Rouge algérien a placé cinq postes de secours sur l'itinéraire de la marche. Outre l'emblème national, des drapeaux noirs en signe de deuil et des portraits d'artistes et d'hommes de culture étaient brandis par les participants qui scandaient des mots d'ordre contre la hogra, l'injustice, le déni de liberté et d'identité et pour l'état de droit, la reconnaissance de tamazight. Sur plusieurs banderoles, on pouvait lire: «Restituer au peuple son histoire, pour une Algérie algérienne». Visages peints en jaune et vert marqués du signe amazigh, des milliers de personnes ont défilé dans les rues d'Ouzellaguen dans la joie qui se mêlait à la colère. Chaque carré qui arrivait à hauteur du siège de l'APC, à l'endroit du carré des martyrs du printemps noir, observe une minute de silence et se recueille à la mémoire de toute les victimes d'hier et d'aujourd'hui. Des slogans fusent et ne cesseront d'être scandés tout au long de la marche. Certains récurrents tels : «Ulac smah ulac» - «Pouvoir assassin» - «Y'en a marre des généraux». - «Matoub khella oussaya». Il a fallu plus de deux heures de marche pour que les premiers atteignent le stade communal. Devant la difficulté d'accéder à la tribune pour le collégien d'Amizour qui devait lire la déclaration, Oujedi Farès, délégué d'Akfadou, s'en est chargé. Alors que le rassemblement s'achevait, les derniers carrés n'étaient pas encore arrivés à Ouzellaguen. Une délégation de l'interwilayas s'est rendue à la maison où s'est tenu, en 1956, le Congrès de la Soummam dont les résolutions, pour beaucoup de participants, sont encore d'actualité d'où d'ailleurs le slogan: «1956, combat continue 2001». Ce n'est, enfin, que vers 15 h que les marcheurs se sont dispersés dans le calme. La population d'Ouzellaguen, qui a longtemps redouté cette manifestation, a poussé enfin un grand «ouf» de soulagement. ILS ONT DIT Aït Mamar Idir (délégation de Tizi Ouzou) «C'est un événement grandiose pour réhabiliter l'histoire du peuple algérien. Les résolutions du Congrès de la Soummam, qui ont été enterrées par cette junte militaire, aujourd'hui il est temps de se réapproprier l'histoire du peuple algérien, le combat continue.» Kasmi Hakim (délégation de Bouira) «C'est une action de mobilisation citoyenne réussie. Cette fois-ci, le peuple algérien restitue son histoire et continue l'élan du mouvement et merci.» Boudjemaâ Agraw (chanteur engagé) «Comme toutes les marches, c'est une réussite. Plus de trois millions de personnes sont sortis pour dire encore à ce pouvoir qu'il doit nous écouter. Il faut que ce pouvoir écoute autre chose que les sirènes de la violence. Nous sommes pacifiques et si le pacifisme ne donne rien, on peut passer à la violence.» Beza Benmansour (élu à l'APW) «C'est une grande mobilisation pacifique et citoyenne. Le pouvoir, qui a misé jusque-là sur l'essoufflement, doit comprendre que les revendications sont légitimes. S'il n'y a pas de satisfaction de la plate-forme d'El-Kseur, il n'y aura pas de paix. La mobilisation d'aujourd'hui est un témoignage probant.» Ali Gherbi (délégation de Béjaïa) «Ce degré de mobilisation est inimaginable. Ce pouvoir mafieux et assassin qui croit qu'il y a démobilisation se trompe. Nous relevons encore une fois le défi. Ce sera la victoire.»