Les villages ne sont plus ce qu'ils étaient jusqu'au début des années 1980. Quand les autorités locales et concernées faillent à leur mission, la population se trouve fatalement livrée à elle-même et des situations telles que celles enregistrées, ces jours-ci, dans la région d'Ililten en Kabylie, peuvent facilement prendre des tournures inattendues, voire fâcheuses. Pourtant, il n'y a pas si longtemps, des problèmes locaux beaucoup plus graves en Kabylie étaient réglés en quelques minutes grâce à la sage et prompte, mais surtout, juste intervention de tajmaât, cette mythique assemblée des villages dont les vertus ont été très louées par les écrivains de l'époque dont Mouloud Feraoun, l'un des plus grands d'entre tous. Pourquoi donc cette fameuse tajmaât a-t-elle disparu des villages kabyles ou bien quand elle ne s'est pas quasiment éclipsée de la scène, et a vu son champ d'intervention réduit à sa plus simple expression? La question mérite d'être posée quand on voit la multiplication du nombre de conflits qui se réglaient jadis en un clin d'oeil sur la place du village grâce à l'esprit de respect absolu qui régnait dans les villages. L'une des raisons principales coule de source: il y a le fait qu'actuellement, les villages ne sont plus ce qu'ils étaient jusqu'au début des années 1980. L'urbanisation massive des villages a fait que ces derniers se sont pratiquement vite transformés en de petites villes. Si dans le passé, dans le village, la population était composée principalement des membres de la même famille, ou de plusieurs familles mais toutes proches par alliance, actuellement, près de la moitié des habitants résulte de raisons professionnelles. Les villages, à l'instar des villes sont devenus, en quelque sorte, cosmopolites, ce qui rend le maintien de l'ancien système d'organisation difficile, voire impossible. D'ailleurs, plusieurs tentatives de réhabiliter tajmâat, devenue juste un symbole et un lointain souvenir actuellement, ont échoué. Il est très difficile de faire adhérer la majorité de la population à une telle démarche qui est aux yeux de nombreux citoyens dépassée par le temps. Actuellement, pour une banale bagarre, on en arrive aux tribunaux. Alors que dans le temps, même les affaires de meurtres trouvaient un règlement local et total, sans que la nouvelle du crime dépasse même les frontières dudit village. Actuellement, plusieurs villages tentent de revenir à ce passé pas aussi mauvais que cela. C'est le cas du grand village de Boudjima, situé à une vingtaine de kilomètres du chef-lieu de la wilaya de Tizi Ouzou où depuis quelques semaines, tous les citoyens sont invités à payer les 1200 DA annuels de droits de faire partie du «tsufiq» du village. Tsufiq veut dire approximativement consensus. Désormais, une fois cette somme versée au représentant de son «adhroum», on est en quelque sorte entièrement pris en charge par tajmaât. Si un conflit éclate avec les voisins ou des membres de la famille, il ne faut pas trop s'en soucier, il suffit juste d'informer les membres du comité du village qui sauront comment rendre à César ce qui lui appartient. Mais, même si ce genre d'organisation ancestrale venait à être remis au goût du jour, l'Etat et les responsables de tous les secteurs qui posent souvent problème comme celui de l'hydraulique, doivent également assumer leurs responsabilités. Car, c'est une honte qu'en 2016, des villages restent toujours sans eau potable dans une wilaya qui a payé un lourd tribut pendant la guerre d'indépendance.