La nouvelle loi de finances, qui n'a pas été sans conséquences sur les petits métiers, risque de provoquer un véritable effet boule de neige. Le gouvernement a beau recourir systématiquement à la justice pour bloquer l'ensemble des grèves que programment les syndicats autonomes algériens, la grogne sociale n'en continue pas moins d'aller crescendo. Aujourd'hui, à peine quelques semaines après l'entrée en vigueur des nouveaux tarifs du gasoil, ce sont deux secteurs d'activité névralgiques pour le pays qui viennent d'entrer en ébullition, menaçant tous deux de débrayer dans un proche avenir. Il s'agit des chauffeurs de taxi et des boulangers. Les deux résument en quelques mots leurs récriminations et/ou revendications. Il ne s'agit rien moins que de la faiblesse de leurs marges bénéficiaires respectives. Tous les analystes s'étaient pourtant accordés à dire que la hausse du prix du gasoil risquait d'entraîner automatiquement des hausses dans de nombreux produits de large consommation, dépendant étroitement de ce carburant. Il s'agit aussi bien du pain que de l'électricité et du transport public, toutes catégories confondues. Les autorités publiques ne semblent pas s'être résignées, comme c'est de coutume, de faire assumer ces nouvelles hausses aux consommateurs, les fournisseurs de ces produits et services ne pouvaient que monter au créneau. Les premiers à le faire, dès les tout premiers jours d'entrée en vigueur de cette nouvelle mesure, sont les transporteurs en commun. Constitués en un puissant lobby, ils ont décidé d'autorité, sans rechercher l'assentiment des directions des transports wilayales, ni celle du ministère des Transports, de faire payer plus cher leurs prestations, sans s'occuper pour autant de rendre plus «attrayantes» les prestations qu'ils offrent à des clients, traités bien souvent comme de la vulgaire marchandise. Prestations effectuées dans l'anarchie la plus totale, sans que les autorités ne daignent y mettre le holà, il semble que les transporteurs en commun aient «encouragé» les autres corporations à se joindre à la «curée générale». C'est ainsi que les boulangers et les chauffeurs de taxi, tous deux regroupés sous la «houlette» de l'Ugcaa (Union générale des commerçants et artisans algériens), ont décidé de monter au créneau, avec pour objectif d'aller vers des mouvements de grève. Les chauffeurs de taxi, rassemblés hier à leur siège national, débattaient toujours de la décision à prendre jusqu'à l'heure où nous mettions sous presse. Les boulangers, eux, tiennent leur assemblée générale aujourd'hui au niveau du même siège. Tous les éléments d'information concourent à accréditer l'hypothèse que ces deux secteurs d'activité iront vers des débrayages. La seule question qui se pose est de savoir si le taux de suivi sera important ou pas, et si les pouvoirs publics recourront une fois de plus à la justice, ou bien donneront-ils une fois de plus satisfaction aux revendications de ces travailleurs libéraux en colère? En cas de réponse positive, force est de conclure que ce sera une fois de plus la bourse du pauvre quidam qui en pâtira. La grogne sociale semble d'autant plus s'exacerber, du reste, que les travailleurs en particulier et l'ensemble des citoyens en général, trouvent légitimement du mal à saisir le paradoxe existant entre l'embellie financière du Trésor algérien d'une part, et la poursuite de la baisse du pouvoir d'achat de l'autre. Même les ambitieux plans d'aide à la relance économique du président Bouteflika n'y semblent guère suffire, attendu qu'ils ont quasi exclusivement contribué à stabiliser les paramètres macroéconomiques sans jamais s'appesantir sur le vécu quotidien du citoyen, ni même sur ses besoins les plus pressants. C'est pourquoi les travailleurs des secteurs de l'éducation, de l'enseignement supérieur et de la santé reviennent assez cycliquement à la charge, non pas seulement pour exiger des salaires plus conséquents, mais aussi et surtout pour pouvoir travailler enfin dans des conditions plus «correctes» et avec une meilleure protection sociale. Ainsi, les pouvoirs publics ont beau reporter l'ouverture de l'épineux dossier social, ils devront s'y résoudre un jour ou l'autre. Le plus tôt sera le mieux partant que pour cette véritable bombe à retardement, chaque jour qui passe accentue les tensions et rend le dialogue encore plus laborieux.