Celui qui a connu «la ferme de Burgas», distante d'une trentaine de kilomètres de Souk-Ahras, dans les années soixante-dix et au début des années quatre-vingt, se rappelle non sans nostalgie, de ses terres arables, de ses forêts luxuriantes mais surtout de ses champs de blé qui s'étendaient à perte de vue sur des centaines d'hectares lui offrant un cachet particulier où se mélangeaient avec harmonie la couleur d'une terre généreuse et le vert d'une végétation aussi riche que variée. Aujourd'hui, c'est un spectacle de désolation qui dépayse le regard sans impressionner l'esprit. Un tableau dont la toile de fond n'est autre qu'un alignement sans fin de constructions, le plus souvent anarchiques, désormais ces terres jadis synonymes de fierté et de richesse pour les habitants de cette région à vocation purement agricole, ont été remplacées par des masses difformes de béton armé. L'exemple le plus frappant est à Souk-Ahras à la cité Baral Salah, une plaine où les fellahs s'adonnaient volontiers à la culture céréalière, aussi à la cité Ibn Rochd et celle de Djenane Toufeh, comme son nom l'indique, même les terres fertiles de la route d'Annaba(2), domaine Abdelaziz Kader, toutes ces terres arables ont été transformées en béton, de terribles ravages causés à ces verdoyantes plaines. Des particuliers se sont emparés de ces terres agricoles, des villas y ont été érigées et il est patent d'en conclure que ce n'est pas le petit citoyen qui en a profité, ce qui signifie immanquablement que le détournement de terres agricoles et forestières existe. Un autre exemple à la sortie du village Sebaâ, disant de 30 km de la wilaya de Tarf, les gros pontes se sont emparés d'immenses plaines pour y ériger des «maisons de maître», également à Héliopolis et à la sortie de Oued Zenati (wilaya de Guelma), des terres fertiles subissent l'assaut du béton ; à titre d'exemple à la daïra d'Aïn-Beïda (wilaya d'Oum El-Bouaghi), il n'est plus possible aujourd'hui d'envisager la construction d'un édifice public, faute d'un terrain ou d'un espace demeuré libre. Même les espaces destinés à l'embellissement, tel les jardins, ont été envahis par le béton. Beaucoup de lotissements demeurent non régularisés à cause de litiges de régularisation de la loi d'orientation foncière 25.90 et le décret exécutif portant limitation de création des AEL. Il faut le dire, Aïn-Beïda est entachée d'anachronisme du fait de la conjugaison de nombreux problèmes liés par ricochet au foncier et à sa dilapidation, même l'extension de la ville reste chimérique à cause de l'empiètement sur les terres agricoles. La course aux constructions anarchiques prête à penser que les Algériens ont définitivement tourné le dos à la nature, préférant la laideur du ciment à la verdure curative des champs et des vergers et voulant à tout prix construire son toit, en corollaire, cette situation a été fatale pour la survie de nos terres arables. Dans ce contexte, le ministre de l'Agriculture a déclaré lors d'une conférence de presse: «Durant l'année 2004, 500 transactions illicites ayant touché 1800 ha ont été enregistrées et 164.000 ha ont été détournés de leur vocation, urbanisés dans la majorité des cas». De l'avis de nombreux responsables du foncier interviewés par nos soins, conservateur des forêts, DSA, ils nous ont expliqué que «d'ores et déjà, des commissions locales d'assainissement des listes des bénéficiaires des terres agricoles sont ouvertes partout dans le pays». Face à ce véritable fléau national de détournement des terres agricoles et forestières, le moins qu'on puisse dire est qu'un grand coup de balai se prépare, ce qui ressort des déclarations faites il y a trois semaines de cela, du ministre de la Justice, garde des Sceaux, Tayeb Belaïz, quand il a explicité, ex cathédra : «Le dossier de la spéculation et du trafic du foncier agricole sera ouvert par la justice qui rendra son verdict à l'encontre de tous ceux qui ont été impliqués dans des malversations». Cette sortie de ce haut responsable à la rescousse des humbles fellahs, vient de couper l'herbe sous le pied des spéculateurs du foncier qui ont tout le temps exploité d'immenses superficies agricoles en recourant à des pratiques dolosives, pour se servir et s'enrichir en faisant payer un lourd tribut à l'agriculture.