La compétition dans la section long métrage a débuté samedi dernier avec trois films respectivement tunisien, irakien et algérien. Commençons par le dernier. Il s'agit du film La route vers Istanbul de Rachid Bouchareb, tourné à 80% en Algérie avec un fonds cent pour cent étranger. En fait, c'est toute la partie turque, exception faite de quelques passages, qui a été tournée à Tlemcen. Ainsi, l'histoire raconte l'entêtement d'une femme belge qui décide de retourner sur les pas de sa fille ayant fugué pour rejoindre l'Etat islamique en Syrie via la Turquie. Cette femme désemparée refuse de voir la police croiser ses bras et tente d'aller la récupérer elle-même. Une idée assez folle et pourtant elle arrive enfin à la retrouver, mais dans quelles conditions... Le film soutenu par une écriture limpide souffre pourtant d'une certaine mollesse au niveau de l'interprétation de certains de ses comédiens, et surtout nous laisse sur notre faim. Sans grand rebondissement, on retrouve toutefois la touche du réalisateur qui privilégie les grands plans panoramiques pour décrire le vide ou la solitude qui pèsent sur les personnages, mais ce point fort s'élimine face à la pauvreté du récit qui trouve une fin rapide et un peu trop facile. Le second film projeté à la cinémathèque est intitulé le Silence du berger. Réalisé par Raâd el Mouchatata, il raconte l'histoire d'une famille dans un milieu rural dont on ne connaît pas l'appartenance ethnique. Un jour, la fille qui part ramener de l'eau dans le désert ne revient pas. Sa disparition coïncide avec le départ d'un jeune homme qui refuse de faire la guerre. Ce dernier échappe en fait à la mort quand il descendit du bus pour s'engager dans l'armée et vivre l'enfer durant 15 ans. Le reste des occupants du bus sont jetés dans une fosse et tués par les soldats de Saddam Hussein. Un berger, resté caché derrière la colline observe la scène. La fille est repérée et amenée elle aussi dans la fosse où elle est exécutée. Choqué, le berger ne pipera mot de ce qu'il a vu durant toutes ces années laissant tout le village croire que la jeune fille s'était évadée avec le garçon. Quand le père découvre enfin la vérité, il recouvre son rang de chef de la tribu et la mère remet sa robe blanche. Un signe très fort qui montre ô combien l'importance de l'honneur de la tribu qui préfère savoir sa fille enterrée que vivante avec quelqu'un d'autre non consenti par sa famille. «Pour ma part je ne fais pas de distinction entre l'oppression de la tribu et celle de l'Etat, a fortiori dans nos sociétés patriarcales, dont la dictature se répète d'un rang à un autre...» Avouant que cette histoire est tirée d'un fait réel lu dans un journal, le réalisateur reconnaîtra que la peur subsiste encore aujourd'hui dans la vie quotidienne de l'Irakien. Car elle peut provenir de partout. Y compris en effet de la vendetta d'un frère...Un film intéressant néanmoins mais très bouleversant. Enfin, le film tunisien projeté en première partie et signé Fadel Dziri. Il aborde la thématique du terrorisme par un biais bien singulier, surtout au niveau du traitement de l'image qui emprunte les codes cinématographiques au polar. Intitulé Eclipse, le film qui évoque le réseau de transfert des terroristes clandestinement vers la Syrie a cela de point commun avec le film de Rachid Bouchareb. Mais là s'arrête le parallèle, car là où l'autre fait dans l'économie scénaristique, l'autre a choisi sciemment de se disperser et d'aller dans toutes les directions possibles afin de parler de la Tunisie contemporaine. Car c'est ainsi que le reconnaîtra le comédien qui interprète le rôle du policer enquêteur qui tombe amoureux d'une journaliste partageant avec lui sa soif de vérité dans l'enquête: «Il s'agit d'un film qui dépeint la société tunisienne, mais à différents niveaux: politique, social, policier, justicier et médiatique.» Ici ce qui importe n'est pas le profil de ces terroristes à l'instar du film de Bouchareb qui insiste sur la fragilité de son personnage, mais le but du film tunisien est d'incarner l'âme trouble de ce qui se trame dans les coulisses de cette Tunisie et notamment à travers cette séquence de torture et le meurtre à répétition. Dans ce film profondément atmosphérique, le réalisateur qui vient de l'univers du 4e art, s'est essayé à un vrai exercice de style en donnant à voir par moment une image expérimentale qui flirte avec l'animation. Fadel Dziri dénonce l'état actuel de la Tunisie et son système policier qui perdure encore et a choisi pour le faire l'ambivalence dans les lumières et la couleur de l'image de ses plans. Un film «engagé» qui a valu à l'équipe de nombreux bâtons dans les roues, confie le comédien principal, musicien aussi de son état dans la vie, ayant composé la musique du film. Un film cette fois, qui a contrario de La route vers Istanbul pèche par son désir de dire et montrer trop de choses à la fois. Ce qui brouille paradoxalement les pistes. Saura-t-il plaire au jury du festival? On verra... En attendant, nous apprenons entre-temps que Omar Si et Beyouna joueraient dans le prochain film de Bouchareb. Sera-t-il question cette fois de racisme ou encore d'intégrisme?