La ville est sortie de son paisible anonymat pour faire l'objet de tous les commérages. Cet hiver, il fait chaud à Ghazaouet et pourtant les collines des monts du Fillaoucène sont encore enneigées. Voilà depuis quelque temps, la ville de Ghazaouet est sortie de son paisible anonymat pour faire l'objet de tous les commérages. En arrivant dans la légendaire ville des Deux-Frères, on s'aperçoit très vite de l'inquiétude et du désarroi qui se sont emparés de cette paisible population composée à 80% de gens de la mer. L'ex-Nemours est en train de vivre un véritable cauchemar et pour cause, on parle de la délocalisation du port de pêche vers une autre localité de Sidna Youchaâ. Comprenne qui peut à cette situation, il nous fallait insister auprès des gens pour avoir quelques informations sur ce que certains qualifient déjà de «hold-up». Les visages sont crispés, ces braves gens qui ont fait de la mer leur compagne, leur confidente, enfin leur véritable raison de vivre, se méfient de tout le monde et ne croient plus à rien, et il y a de quoi. A notre arrivée à Ghazaouet, nous avons constaté la présence d'une délégation envoyée par le wali de Tlemcen pour entendre et essayer de comprendre l'inquiétude des professionnels de la mer sur l'étrange choix de Sidi Youchaâ qui a surpris tout le monde et qui pose un certain nombre de questions auxquelles il sera difficile d'apporter des réponses. Des crédits qui se chiffrent à des milliards ont été affectés initialement et comme prévu à l'extension et la modernisation du port de Ghazaouet qui date de plus d'un siècle. C'est grâce à ce port que la ville coloniale de Nemours, s'est érigée au fil des ans pour devenir un important port méditerranéen situé à quelques encablures de la péninsule ibérique, d'ailleurs on peut observer tous les jours, ce magnifique ballet des mouettes entre Ghazaouet et Alicante. Les patrons de pêche et toute la société civile de Ghazaouet dénoncent et s'insurgent contre ce projet de délocalisation qui ne se justifie en aucune manière, pour deux raisons essentielles. La première raison, l'enveloppe stipule bien le réaménagement du port de pêche actuel et non la réalisation d'un port à Sidna Youchaâ et puis le commun des mortels vous dira qu'il est impossible d'imaginer toute forme de vie à Ghazaouet sans son légendaire port de pêche. Rappelons pour l'histoire, que les premiers et fameux anchois de Ghazaouet furent exportés en 1920 vers la Louisiane (USA). La deuxième, c'est que Sidna Youchaâ est l'une des rares stations balnéaires qui reste comme richesse et c'est aux responsables de l'environnement de la protéger en s'opposant au bétonnage de ces rivages. La plage de Sidna Youchaâ accueille beaucoup d'estivants et sa vocation est à caractère touristique avant tout. L'heure est grave et le ton monte. Les responsables de la pêche haussent le ton et ont signifié à la délégation de transmettre leurs inquiétudes au wali de Tlemcen. Un vieux marin-pêcheur aura cette grave sentence, «nous nous ne laisserons pas faire de toute façon quoi qu'il arrive». Malgré l'atmosphère un peu lourde, nous avons pu accéder à quelques informations sur cette affaire qui a débordé la ville de Ghazaouet pour atterrir au ministère de la Pêche. Effectivement, une délégation a été reçue par des responsables de ce ministère qui ont été plutôt compréhensifs à ses revendications. Mais c'est plutôt du côté du ministère des Travaux publics que les choses se gâtent, pour la simple raison que le laboratoire des études maritimes impliqué dépend de ce ministère. La dernière démarche de cette population en colère c'est une lettre adressée au président de la République et dans laquelle cette population du Nord-Ouest se dit désappointée par le choix du site du futur port régional de Ghazaouet à Sidi Youchaâ. Dans cette requête, il est demandé au président de la République d'intervenir pour sauver Ghazaouet d'une amputation sociale et économique et d'éviter à la région de sombrer dans le tribalisme et le clanisme de certains lobbys étrangers au secteur de la pêche. En attendant, la population de Ghazaouet est plongée dans une angoisse et une incertitude qui remettent en cause non seulement la principale ressource, mais surtout l'histoire et la légende vivante de la ville des Deux-Frères. L'Emir Abdelkader a fait ses adieux à son pays natal sur les quais de Ghazaouet avant de s'embarquer pour l'exil.